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été portée, et, il faut le dire, avec moins de preuves. Du moins, M. Zola n’en a pas fourni : il les donnera sans doute au jury. Il s’est contenté, pour le moment, d’affirmations tranchantes et hautaines, comme il convient à un homme qui est détenteur de la vérité absolue. On se demande avec stupeur comment il a pu se faire une conviction aussi sûre d’elle-même. L’énormité d’un tel orgueil a quelque chose de malsain, qui effraie beaucoup plus qu’elle ne rassure. Eh quoi ! trois conseils de guerre, composés chacun de sept officiers, par conséquent vingt et un officiers de notre armée, ont été appelés, à des époques diverses, à juger soit l’affaire Dreyfus, soit l’affaire Esterhazy, et ils sont arrivés unanimement à des conclusions concordantes ; ils ont su des choses que nous ignorons ; ils ont entendu des témoins que nous n’avons pas entendus ; ils ont eu des moyens d’investigation qui nous ont toujours manqué ; et, parce qu’il reste dans l’affaire des obscurités inévitables, M. Zola, de son autorité privée, s’appuyant sur des présomptions qui n’ont pas été contrôlées et qui ne peuvent pas l’être, décide, non seulement qu’ils se sont trompés, mais qu’ils l’ont fait exprès, sciemment, effrontément, criminellement et que, si cela n’est pas tout à fait certain des premiers, cela est incontestable des seconds ! M. Zola, seul, avec les présomptions très incomplètes dont il dispose, est sûr de ne pas s’être trompé, et il affirme que vingt et un officiers, avec des preuves plus nombreuses et qu’il ne connaît pas, se sont trompés ou ont menti ! Il le dit, il ne permet à personne d’en douter ! C’est le délire de l’orgueil ! Un homme isolé peut avoir raison contre vingt et un, et même davantage ; cela s’est vu, cela se verra encore ; si M. Zola s’était borné à exposer les motifs de sa croyance, on aurait pu, on aurait dû l’écouter. Mais il a dépassé toute mesure en osant accuser de mauvaise foi tous ceux qui n’ont pas jugé comme lui, et il n’a pas suffisamment songé au caractère de ceux auxquels il adressait ce grossier outrage.

Il n’a pas tardé à trouver de l’écho. Si nul n’a repris à son compte, dans leur application personnelle et directe, les accusations dont il garde l’initiative et la responsabilité, la presse radicale et socialiste s’est empressée d’entamer à sa suite d’ardentes polémiques contre ce qu’elle appelle le militarisme et le cléricalisme ; et nous ne savons ce que c’est que le militarisme ou le cléricalisme ; mais il faut toujours se défier et s’abstenir de ces mots vagues et sonores, sous lesquels se cachent les acceptions les plus diverses, et qui, grâce à une équivoque facile, permettent à ceux qui les emploient de s’en prendre à la religion ou à l’armée. Il est impossible de trop regretter, et