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personne de Louis-Napoléon Bonaparte, avec hérédité dans sa descendance directe, légitime et adoptive, et lui donne le droit de régler l’ordre de succession au trône dans la famille Bonaparte ainsi qu’il est prévu par le Sénatus-Consulte du 7 novembre 1852. »

Le résultat du vote n’était pas douteux, car la nation, qui se fût certainement contentée d’une présidence républicaine viagère, était résolue à ne rien refuser au Prince qui venait de la sauver. Pour bien établir que le vote était éclairé, le Moniteur publia une diatribe furibonde de Victor Hugo et de ses amis et une protestation méprisante du comte de Chambord. Il y eut 7 824 129 oui, contre 253 145 non. Malgré la désapprobation générale qui, au dire des hommes de parti, avait accueilli certains décrets dictatoriaux, le Prince gagnait près de 400 000 voix. — « Un jour, a dit Jules Ferry, les masses agricoles montrèrent qu’elles pouvaient vouloir. Le paysan voulut couronner sa, légende, et d’un mot fit l’Empire. Ce mot-là fut passionné, libre, sincère. Il le répéta trois fois[1]. »

L’Empereur se contentait de la liste civile de 12 millions, fixée par ses ministres. « La simplicité de ses goûts lui faisait redouter plus que désirer les facilités d’un luxe royal : il ne lui déplaisait peut-être pas, tout en satisfaisant son goût personnel, de se donner, par sa modération, le caractère d’un Washington couronné[2]. » Mais Persigny voulait un Empereur luxueux et prodigue, la main ouverte aux malheureux et à ses amis, éblouissant la multitude par son faste. Comment y arriver avec une liste civile moindre que celle de Louis-Philippe et que celle des Bourbons ? Il fallait au moins 20 millions. Il les proposa sans succès au Conseil, auquel assistait Troplong, président du Sénat, rapporteur du Sénatus-Consulte. Au sortir du Conseil, Persigny se lamentait avec celui-ci de sa déconvenue : — Je suis de votre avis et pour vos raisons, fait Troplong. — Pourquoi ne l’avez-vous pas dit ? Mais il reste un moyen de réparer le mal. Vous êtes tout-puissant dans la commission, obtenez d’elle le chiffre de 25 millions. — Je ne demanderais pas mieux, si j’étais certain de répondre au désir secret de l’Empereur. Retournez auprès de lui et rapportez-moi sa véritable volonté. — Persigny court chez l’Empereur. — Vous êtes un obstiné, lui répond celui-ci ; c’est décidé, et je ne puis vous entendre plus longtemps, je suis obligé de sortir.

  1. La Lutte électorale en 1863, p. 11.
  2. Persigny.