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les bourgeois du tiers-état, instruits de ses dispositions, se soulèvent contre sa candidature, intimident ses amis, et provoquent son échec. Son opposition dès lors progresse et s’accentue ; et, sans souci de l’impopularité qui s’attache à son nom, il est le plus chaud partisan des mesures de rigueur, de résistance violente au flot montant de la démocratie.

Le 14 juillet 1789, il se trouvait à Chantilly, ainsi que ses enfans[1]. La soirée s’avançait, quand on annonce un cavalier dans la cour du château ; c’est le chevalier d’Auteuil, l’un des aides de camp du prince, accouru de Paris à franc étrier. On l’introduit en hâte ; d’une voix frémissante, il raconte les événemens dont il vient d’être le témoin : la prise et le pillage de la Bastille, le massacre de la garnison, le meurtre de Launay et Flesselles, la défection d’une partie des troupes, la fureur croissante du peuple. Une stupeur indignée accueille d’abord ce récit, puis Condé prend la parole : « Il est résolu, dit-il, à joindre le Roi sur-le-champ, pour partager ses périls, et, s’il le faut, mourir à ses côtés dans la lutte suprême. » Dès l’aube, en effet, il monte à cheval, suivi du duc de Bourbon, du duc d’Enghien, alors âgé de dix-sept ans, et d’une nombreuse escorte ; la princesse Louise, ne voulant à aucun prix, en de telles circonstances, se séparer des siens, se rend également à Versailles, en calèche, par un autre chemin. Elle y arrive une heure après son père ; mais les deux autres princes manquent au rendez-vous. Ils ont, peu après le départ, quitté brusquement le reste de la bande, se sont jetés au galop dans les bois, et ont pris la route du Nord, se flattant d’y opérer un soulèvement en faveur du Roi. On fait courir après eux ; on les rattrape à Nointel, où une indisposition du duc d’Enghien les a contraints de s’arrêter ; un message impératif les ramène à Versailles, et la famille entière se trouve de nouveau réunie. Toute la journée du 16 se passa en conciliabules. L’heure était décisive. Deux systèmes opposés s’offraient au choix du Roi : le rappel à Paris des régimens restés fidèles, la lutte ouverte contre l’insurrection ; ou l’acceptation du fait accompli, le renvoi des ministres, l’éloignement de l’armée. Après un long et violent débat, cette dernière politique fut celle qui

  1. J’emprunte une partie des détails qui vont suivre aux curieux Mémoires inédits du comte d’Espinchal, ami intime et compagnon d’émigration du prince de Condé, mémoires dont M. Frédéric Masson a publié quelques fragmens dans la Revue de Paris.