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vers la fin de septembre. La princesse eut la joie d’y retrouver sa compagne d’enfance, Madame Clotilde, sœur de Louis XVI, mariée au prince de Piémont ; à peine reconnut-elle celle qu’on avait à Versailles, vu son précoce embonpoint, surnommée le Gros Madame, et qu’elle revoyait à présent « maigrie, vieillie, ayant perdu toutes ses dents », n’offrant plus, à trente ans, aucune trace de fraîcheur. Dévote, scrupuleuse, au reste d’une bonté parfaite, la princesse de Piémont accueillit avec empressement son ancienne amie, l’attira autant qu’elle put à sa Cour, « froide, triste, austère et cérémonieuse », lui fit promettre, si les circonstances l’obligeaient à quitter sa famille, de venir à Turin chercher asile et protection.

Les mois passés à la cour de Piémont furent, pour les Condé, le seul répit des premiers temps d’exil. Les événemens y mirent un terme, imposèrent au prince l’obligation, légitime à ses yeux, d’effectuer le programme d’action vaguement conçu lors du départ de France. L’émigration en effet s’accentuait de jour en jour : gentilshommes, officiers, simples soldats même et bourgeois royalistes, passaient en nombre la frontière, pressant les princes du sang de se mettre à leur tête, et de les mener à la lutte contre les « ennemis de leur roi ». Deux points de rassemblement leur furent désignés : l’un à Coblenz, auprès des frères de Louis XVI, le comte de Provence et le comte d’Artois ; l’autre à Worms, où Condé, parti de Turin le 6 février 1791, s’établit définitivement le 23 février suivant. Il y occupe le château de l’Electeur, et bientôt autour de lui se forme une espèce de Cour, dont l’allure toute militaire contraste avec la réunion de Coblenz, plus politique et plus mondaine. Dans les immenses salons du château se presse matin et soir la foule des émigrés, sollicitant des grades dans l’armée qui s’organise, s’informant des nouvelles, entourant d’affection et de respect celui qu’ils considèrent déjà comme leur chef véritable, et dont ils attendent le relèvement de la monarchie française. Une « garde d’honneur » veille sur sa sécurité ; les douze gentilshommes qui s’y succèdent à tour de rôle sont reçus chaque jour à la table du prince, qui les traite en « frères d’armes », exalte par sa cordialité militaire leur enthousiasme et leur ardeur. Deux femmes font les honneurs de cette Cour improvisée, et l’éclairent de leur grâce. L’une est Mme de Monaco, dont la fidélité au malheur rachète les torts passés ; encore jolie et séduisante malgré ses cinquante ans, avec son fin visage et l’auréole de ses cheveux