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étaient tombés entre les mains de Custine ; et les maigres subsides fournis par l’Angleterre ne suffisaient que bien juste à donner « quelques bouchées de pain » aux soldats affamés. « Imaginez-vous bien, écrit le prince à M. de la Fare, que toute la branche des Condé a dans ce moment-ci 7 200 livres de capital et pas un sol avec, capital qui sera mangé dans quinze jours. Ma position est si gênée qu’elle en est réellement ridicule ! » Et aux demandes pressantes de ses enfans, il répond avec amertume : « Je ne peux plus vous dire comme autrefois : je ne vous laisserai point manquer ! Vous manquerez ainsi que moi, il faut vous y attendre. » La princesse Louise à cette époque connut la vraie misère, les « quelques sols « vainement implorés « pour s’acheter des chemises », le coucher dans les granges ou à la belle étoile, le pain noir et la soupe accordés par pitié dans les auberges de village. Tout l’accable à la fois : sans informations précises sur la marche des armées, sans nouvelles des siens qui ont perdu sa trace, elle erre presque au hasard, de bourgade en bourgade, terrifiée à l’idée des « rencontres » qu’elle peut faire, torturée par l’inquiétude au sujet de ceux qui lui sont chers. « Rien qu’y penser me fait frémir ! s’écrie-t-elle avec désespoir. Quel sort que celui de mes parens, et de la malheureuse noblesse française ! Mon cœur est déchiré ! » C’est dans cet état de détresse qu’elle atteignit enfin Fribourg, où des âmes compatissantes lui assurèrent un asile honorable, et où elle put goûter quelques mois de repos.


IX

Cette halte à Fribourg marque dans l’existence de Mlle de Condé une date importante : elle y prit le parti de renoncer définitivement au monde et d’embrasser la vie religieuse. Cette détermination, plus généreuse que sage, — la suite de ce récit le prouvera clairement, — fut-elle l’acte réfléchi d’une âme brisée par la souffrance qui, lasse des espérances humaines, cherche dans des sphères plus hautes la consolation et l’oubli de ses maux ? Ou peut-on, au contraire, y démêler la trace de quelque influence étrangère ? Ce que l’on sait de l’abbé de Bouzonville, que la princesse rencontra à Fribourg et qui devint bientôt son directeur de conscience, rend, il faut bien l’avouer, cette dernière supposition vraisemblable. Jadis colonel de cavalerie, d’abord marié, puis veuf et entré dans les ordres, successivement trappiste, lazariste,