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j’ai tant de sujets de chérir, j’aurais encore été ému, attendri de la manière simple, noble, touchante, dont elle a prononcé des vœux qui nous l’enlèvent à jamais. L’évêque même qui les a reçus n’a pu retenir ses larmes. » Le pas redoutable est donc franchi ; l’errante, l’incertaine existence paraît désormais fixée. La « sœur Marie-Joseph de la Miséricorde » sera-t-elle plus heureuse que la princesse Louise de Condé ? Deux années de silence et de calme peuvent en donner l’espoir, quand cette brève quiétude est brusquement détruite par un coup de tonnerre.


X

Dans la réclusion absolue où la princesse vit maintenant confinée, un message de Louis XVIII lui apprend, le 3 avril 1804, une terrifiante nouvelle : son neveu, l’enfant de sa prédilection, l’unique rejeton de la maison de Condé, « le valeureux d’Enghien », comme elle se plaît à l’appeler dans ses lettres, enlevé la nuit, au mépris de tous droits, sur la frontière d’Alsace, est envoyé sous escorte à Paris pour y être jugé d’un soi-disant complot contre la vie de Bonaparte. L’événement a quinze jours de date ; on n’en sait pas encore les suites, mais la princesse ne les prévoit que trop. Son esprit, éclairé par tant de catastrophes, va d’un seul bond aux pires extrémités ; et les lignes décousues qu’elle trace d’une main tremblante révèlent toute l’étendue de son angoisse : « mon père ! mon frère ! car mon cœur ne peut vous séparer dans ce moment de la plus pénétrante douleur, et il s’accole au vôtre… Votre enfant à tous deux dans les mains des ennemis de Dieu, de la vertu et de l’honneur !… Je vous embrasse tous deux, je vous presse contre mon cœur, en vous arrosant de larmes brûlantes, que j’offre au ciel comme des prières !… » Isolée des siens, bloquée dans un lointain exil, elle ne peut rien, sa faiblesse l’accable ; mais « du centre de sa nullité », s’élèvent des cris de pitié, de déchirans appels : « Si le crime n’est pas consommé, » qu’on se hâte, qu’on implore tous les souverains de l’Europe ! « Ce qui est possible, qu’on le fasse, au nom de Dieu et de l’honneur : voilà ma seule requête ! » Cinq jours se passent, cinq jours qui semblent des années, où les plus mortelles craintes alternent avec les plus folles espérances. Le 8 avril enfin, on annonce l’abbé Edgeworth de Firmont, le confesseur de Louis XVI ; il vient de la part du roi. Au choix du messager, elle