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un obstacle imprévu. Louis XVIII s’oppose en principe au projet de départ, fait valoir les « convenances », s’épuise dévotement en « représentations sur l’état de religieuse » qui ne comporte guère de tels changemens, traite enfin sa parente « en jeune étourdie de quinze ans », et semble oublier, assure-t-elle, la considération qu’il doit à son âge et au nom qu’elle porte.

L’impatience de la malheureuse princesse est alors à son comble. Son isolement, son impuissance, l’anéantissent et brisent sa volonté. Une sorte de vague effroi l’envahit malgré elle, paralysant les ressorts de son être. En ce pays lointain qui lui fait à présent horreur, elle se sent, dit-elle, captive « comme Louis XVI au Temple ; » et, dans « la nuit obscure » qui descend sur son âme, elle craint de voir sombrer les énergies, les vertus, les fiertés d’autrefois. Sa voix se fait suppliante ; c’est avec des « torrens de larmes » qu’elle conjure ardemment son père de rompre à tout prix les barrières qui l’entourent, de la tirer des « mains ennemies » qui la tiennent enserrée : « Mon père, gémit-elle, votre tendresse se serait-elle refroidie ? Vous aurais-je déplu en quelque chose ? Ah ! mon père, je n’ai que vous, que votre affection ne se rebute pas… Envoyez-moi chercher… Il me semble que si je voyais arriver quelqu’un de votre part, je me croirais sauvée… Guidez ma route, n’omettez rien ! » Que le prince ne craigne point l’embarras de sa présence : elle ira où il voudra, obscure, tranquille, résignée à tout : elle n’entravera en rien la liberté de sa vie, et sera même « fort aise de voir Mme de Monaco ; » mais qu’il ne perde point de temps, car elle est au bout de ses forces, et « serait sans doute déjà morte, sans l’amie excellente » qui seule soutient encore son courage défaillant. Tant d’insistances, ces prières à la fois timides et pressantes, triomphent à la fin de tous les obstacles. La décision des « trois évêques » est, comme on pouvait s’y attendre, favorable au levé de la clôture. Louis XVIII désarmé abandonne ses édifians scrupules ; et le prince de Condé expédie à sa fille, pour accompagner son voyage, « un homme d’âge mûr, ancien garde du corps, l’un de ceux du combat de la porte de la Reine », digne d’inspirer toute confiance.

C’est dans les premiers jours de juin 1805, que Mlle de Condé,