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partielle. Le perfectionnement d’une espèce animale ou d’un genre littéraire peut avoir pour condition la dégénérescence ou la corruption d’un autre ; il peut l’avoir pour conséquence ; et les deux se sont vus plus d’une fois dans l’histoire. L’idée de progrès implique la stabilité ou du moins la longue durée du perfectionnement acquis, et par exemple, depuis qu’on a découvert la vapeur, il n’est pas probable que l’humanité consente, je ne dis pas à se passer de chemins de fer, mais à revenir à la lenteur des anciens moyens de transport. L’idée d’évolution n’implique rien de semblable, et il est de son essence que ses résultats soient toujours mobiles et changeans. N’est-ce pas comme si l’on disait que le progrès est absolu, mais l’évolution est relative ? et quand deux idées se séparent ou s’opposent l’une à l’autre par tant de caractères, peut-on soutenir, en vérité, qu’il soit indifférent d’user de l’un ou de l’autre des mots qui les représentent ou les expriment ? Ai-je besoin d’ajouter qu’il ne l’est pas non plus de se servir indistinctement du mot de mouvement ou d’évolution, si c’est une espèce de mouvement très défini que caractérise le second, un mouvement très composé, qui diffère du mouvement en général, — du mouvement par lequel on se porte d’un point à un autre, ou de bas en haut, — exactement comme en diffère le mouvement par lequel un chêne sort d’un gland, un papillon de sa chrysalide, les jeunes des animaux de leur germe, et l’homme lui-même de l’animal ?


III

Si maintenant on nous demande quelle utilité plus particulière, ou spéciale en quelque sorte et technique, nous attendons de cette application de la doctrine évolutive à l’histoire de la littérature et de l’art, en voici tout d’abord une que nous laisserons le soin de définir au savant Boissonade. On a tout intérêt, quand on veut faire œuvre de propagande, à montrer combien sont vieilles les nouveautés que l’on propose ! « Pour que l’histoire littéraire soit traitée convenablement, écrivait-il en 1806, il faut, je crois, la partager en certains âges dont chacun ait un génie, un caractère bien particulier. Les limites de ces âges doivent être fixées d’après les grands changemens arrivés dans les lettres, et non d’après les mouvemens politiques, car, quoique souvent les révolutions de la littérature et celles de la chose publique se