peu importe à celui qui est ici leur maître d’école ; sa canne à la main, il longe leur rang informe, s’arrête devant l’un d’eux, et dialogue avec lui.
— Sais-tu le Pater noster, frère ?
Et répondant à l’aîné, le cadet dit sa prière au père commun qui est dans les cieux. Combien en ai-je vu déjà de ces faces timides et de ces yeux levés là-haut ! Maintenant je ne fais plus attention aux visages ; mais d’une perception abstraite, comme on entend une litanie récitée au fond d’un temple, j’écoute la Russie qui prie du fond du passé.
— ... Et délivre-nous du matin, ainsi soit-il.
— Molodietz ! (un gaillard !) Tu es lettré, sans doute ?
— Peu lettré. Votre Haute Excellence.
— Et toi, poursuit-il un peu plus loin, sais-tu les commandemens de Notre Seigneur ?
— Le premier commandement sera : Aime le Seigneur ton Dieu de tout cœur, de toute ton âme ; et le second commandement sera : Aime ton prochain comme toi-même, Votre Haute Excellence...
— Molodietz... Molodietz... Et toi, de quel gouvernement ?
Le soldat effrayé ouvre une grande bouche d’où la voix sort à peine :
— Du gouvernement... de Minsk, Votre Haute Excellence.
— Dans quel cas la sentinelle doit-elle tirer, frapper, ou pointer ?
Silence. Le général pose la main sur cette poitrine et trouvant que le cœur y bat à se rompre :
— Vous êtes nerveux, capitaine, dit-il à l’officier chargé d’instruire les recrues ; — cet officier, qui n’ose parler, se redresse avec une convulsion du visage et de tout le corps ; — vous êtes nerveux, je le sens bien.
— Pour la défense de soi-même... commence le soldat, pour la défense de soi-même... et pour la défense du poste.
— Et encore ?
La part que le général fait au service de garde dans son programme pédagogique est considérable. Ce règlement particulier, qui s’ajoute tout droit dans l’enseignement aux commandemens de Dieu, devient lui-même un catéchisme et contient tout ce que le soldat chrétien doit croire et pratiquer. « La sentinelle isolée est investie du droit terrible de vie et de mort et livrée à son