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oliviers. Heureusement les monumens sont là. Ils témoignent hautement qu’au milieu de ces orages, dont plusieurs ne dépassaient pas les limites d’une insurrection algérienne, la province d’Afrique, Proconsulaire ou Byzacène, semait, plantait et récoltait assez paisiblement. C’est en plein empire, à l’époque des Antonins et des Sévères, que la province atteint son apogée. Les frontons des temples rendent encore hommage au très pieux empereur Marc-Aurèle. Les gradins des théâtres s’élèvent en demi-cercle sur le flanc des collines, en face d’un horizon plus beau que tous les décors artificiels, et la scène, ornée de son portique, pourrait entendre demain la voix des acteurs tragiques. L’arête vive et la courbe des arcs mettent une image de force, d’ordre et de régularité à côté des pauvres gourbis arabes. Les inscriptions votives, les dédicaces, gravées profondément dans le marbre, perpétuent le souvenir d’un homme ou d’une cité, sur ce sol mouvant où depuis douze cents ans les générations insouciantes n’écrivent plus que sur le sable. Le profil géométrique et les arches régulières des aqueducs rachètent encore des pentes où les eaux coulent maintenant au hasard, et leurs assises ébranlées, leur blocage béant, affirment, jusque dans la ruine, la persistance de la volonté tenace du peuple-roi. Au milieu d’un pays désert, se dresse un amphithéâtre géant, sorte de colisée abandonné, paradoxe de la solitude. Sa couronne altière s’aperçoit à d’énormes distances. C’est un témoin qui marque de toute sa hauteur, au-dessus de quelques cabanes rampantes, le niveau des civilisations disparues. Il a fallu jadis y entrer par la brèche, comme dans une citadelle. Cette coupe immense, débordant autrefois de mouvement et de bruit, est aujourd’hui silencieuse, et les chèvres broutent l’herbe qui recouvre ses gradins.

Dans des vallées qui semblent rasées par une destruction systématique, et où l’on n’aperçoit que la silhouette chétive et lointaine d’une troupe de chameaux, on rencontre, à chaque étape, les restes de villes populeuses, avec leurs thermes, leurs basiliques, leur voie triomphale, les rues encore visibles, les chambranles des portes encore debout, réponse éloquente à la paresse humaine qui allègue la stérilité du sol ; et, dans la campagne nue, les anciens pressoirs, pareils aux pierres levées d’un cimetière druidique, perpétuent la mémoire de la prospérité morte. Et ce qu’on voit à la surface n’est rien à côté de ce que la terre recèle : à chaque instant, la pioche sonne le creux, et des villes