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inébranlable dans sa décision, demandait seulement que le roi se montrât. Bien que blessée, elle ne songeait pas à la retraite ; il était presque dix heures du soir.

Le roi ne vint pas ; les chefs de l’armée ne firent rien pour réconforter leurs soldats fatigués ; ils insistèrent au contraire pour que Jeanne se retirât. Elle refusait ; alors on l’emporta hors du fossé, on la mit sur son cheval, on l’entraîna à la suite de l’armée sans qu’elle cessât de se plaindre et d’affirmer qu’à la fin la porte eût été prise.

C’était son premier insuccès. « Cette nuit-là, la joie ne fut pas moins grande dans le conseil du roi de France, à Saint-Denis, que dans celui du régent d’Angleterre à Paris. »

Le lendemain 9 septembre, sans se soucier de sa blessure, Jeanne ordonna de faire lever les soldats et de les diriger à nouveau vers Paris. Grande dispute parmi les chefs ! elle durait encore quand on vit arriver de Paris un groupe d’hommes armés. C’était Montmorency, premier baron de l’Ile-de-France, jusque-là partisan des Bourguignons ; il venait avec 50 ou 60 gentilshommes se ranger sous l’étendard de Jeanne. On peut croire qu’il lui eût ouvert pendant la nuit la porte par laquelle il venait de sortir. Ces nouveaux alliés, à la suite desquels on pouvait en espérer d’autres, furent accueillis avec une joie qui se devine. Tous étaient à cheval et déjà en marche, quand deux princes du sang accoururent au galop, demandant à Jeanne et au duc d’Alençon de revenir, enjoignant aux autres de ramener la Pucelle à Saint-Denis !

Pour elle, et pour la plus grande partie de l’armée, ce fut comme un coup de tonnerre, mais elle ne désespéra pas. Résignée, elle se reprenait ardemment à cette dernière espérance, de traverser la Seine sur le pont que le duc d’Alençon avait fait construire à Saint-Denis, et d’attaquer Paris par la rive gauche. Le 10 septembre, de grand matin, Jeanne, et le duc d’Alençon, avec l’élite de l’armée, marchèrent vers le pont ; mais le roi l’avait fait disparaître ; on avait travaillé à la démolition pendant toute la nuit !

Après trois jours de délibération, le conseil décida de rétrograder jusqu’à la Loire. Jeanne ne put s’opposer à cette retraite. Ainsi le roi, le favori et l’évêque de Reims étaient arrivés à leurs fins ; ils détournaient d’eux la main de la Providence, brisaient l’autorité de Jeanne, et reculaient jusqu’à un avenir indéterminé l’heure où la France s’affranchirait du joug étranger.