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disposé à l’égard de Ménélik et avait refusé de le reconnaître pour empereur des Éthiopiens. On avait conclu un traité avec lui, on lui avait promis aide et secours, on lui avait dit : « Tes amis seront nos amis, tes ennemis seront nos ennemis. »

Malheureusement on sacrifia la politique des intérêts à la politique de vanité, on courut après une ombre. On voulait d’entrée de jeu faire grande figure dans le monde en exerçant un protectorat réel ou fictif sur l’Ethiopie tout entière. Il fallait à cet effet s’entendre avec le roi des rois ; on ne désespérait pas de lui arracher son consentement. On ne négligea rien pour le gagner, pour l’amadouer, pour le séduire ; on lui prodigua les caresses, les complimens ; on lui fit présent de deux millions de cartouches, et on se fit fort d’obtenir que le ras Mangascia lui donnât des gages de soumission, poussât la condescendance jusqu’à lui rendre visite. Ménélik accepta tout ce qu’on lui donnait, mais il ne se crut pas obligé de rien donner en retour. Le général Baratieri s’était montré clairvoyant et judicieux ; à peine installé dans son gouvernement, il écrivait : « Nous devons procéder dans cette affaire avec beaucoup de précautions, nous tenir toujours sur nos gardes et être prêts à la parade. Quoi que nous fassions, Ménélik sera notre ennemi. » Il écrivait encore : « Gardons-nous de faire face aux embarras du moment par des complaisances qui pourraient compromettre notre avenir. Personne ne croit à un accord durable avec le négus néghesti, lui fissions-nous toutes les concessions possibles et imaginables ; trop de défiances, à tort ou à raison, se sont enracinées dans son cœur. Établissons entre nous et lui un modus vivendi tel quel ; nous ne devons rien lui demander qui puisse diminuer ses craintes et accroître sa puissance. » On s’obstina à donner les deux millions de cartouches, et, quelques jours après les avoir reçues, Ménélik dénonçait à tous les gouvernemens de l’Europe le traité d’Uccialli, dont l’article 17 plaçait l’Abyssinie sous le protectorat italien.

On avait adopté un nouveau plan de conduite sans renoncer entièrement à l’ancienne politique. Tour à tour on caressait Ménélik ou on en revenait au système d’alliance avec ses ennemis et particulièrement avec le royaume du Tigré, représenté par le ras Mangascia. On donnait au gouverneur des avis et des ordres contradictoires, et les missions confiées à des agens qui ne relevaient point de lui ajoutaient encore à la confusion. Cette politique de bascule ne pouvait avoir que de fâcheuses conséquences. Les gracieusetés qu’on faisait au négus étaient considérées par lui comme un aveu de faiblesse, et la cour d’Addis-Abbaba devenait de jour en jour plus