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comédie et redevient sérieux pour réconcilier tant bien que mal le duc et la duchesse, nous n’y sommes plus du tout. Cette pièce, où abondent l’observation la plus fine et l’imagination la plus farce, souffre de la plus déconcertante duplicité de ton. C’est là son seul défaut ; mais il est, j’en ai peur, rédhibitoire.

Les Transatlantiques sont excellemment joués par M. Numès et par Mlle Sorel ; fort bien par MM. Lérand et Galipaux, par Mmes Samary, Starck et Carlix, et par tous les autres, ou presque.


M. Henri Lavedan a fait un tour de force charmant. Il nous a donné, dans la même quinzaine, Catherine et le Nouveau Jeu, c’est-à-dire la comédie la plus effrontément attendrissante et vertueuse, et la plus effrontée peinture de mauvaises mœurs amusantes. Et le plus fort, c’est que, dans l’une et l’autre entreprise (j’en suis persuadé pour ma part), il a été également sincère ; j’entends qu’il a également suivi son goût et contenté son cœur et son esprit. Car il y a chez lui un fonds de candeur intacte, une âme « vieille France », des restes sérieux de bons principes, d’éducation religieuse et provinciale, un penchant aux attendrissemens honnêtes, et qui ne craint même pas un rien de banalité, tant il est certain de sauver tout par la grâce. Mais en même temps M. Lavedan est un observateur pittoresque, aigu, hardi, et qui se grise volontiers de sa propre hardiesse ; un moraliste hanté de la peur que quelque autre moraliste n’aille encore plus loin que lui dans la peinture du vice contemporain et ne paraisse donc encore plus moral. Et c’est l’homme sensible et bon qui a fait Catherine, et c’est le satirique un peu fiévreux qui a fait le Nouveau Jeu : mais les intentions de celui-ci égalent en pureté les intentions de celui-là ; et tous deux font bien un seul et même homme.

Tout ce qui pouvait le mieux charmer l’âme enfantine du public, et aussi tout ce qui était le plus propre à arracher du cœur soulagé des « honnêtes gens » le fameux : « Ouf ! » que provoqua jadis l’Abbé Constantin, tout ce qu’il y a de Berquin dans Jules Sandeau, de Bouilly dans Octave Feuillet, et de Mme de Genlis dans Emile Augier, M. Lavedan l’a résolument fourré dans Catherine, en y ajoutant encore du sien. Il n’a pas été chercher loin son sujet. Il a simplement transporté dans un décor d’à présent le conte éternellement aimable du roi qui épouse une bergère pour sa vertu. Le petit duc de Coutras, jeune homme à la fois vertueux et passionné, s’est mis à adorer la maîtresse de piano de sa sœur, Mlle Catherine Vallon. Il dit à sa mère : « Je veux l’épouser. » La bonne duchesse fait quelques objections, qu’elle est