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l’entendîmes d’abord, le destin nous semble maintenant accompli. Le jour de sa ruine peut venir. Au premier coup de marteau donné sur ses murailles longtemps harmonieuses, il n’y a pas une grande voix dont l’écho ne s’éveille pour répondre et gémir.

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La salle du Conservatoire ne fut pas seulement un illustre témoin : elle était un interprète et un instrument exquis. « Que Dieu vous bénisse tous, écrivait jadis au chef d’orchestre un auditeur reconnaissant, pour les nobles impressions qui nous viennent de votre foyer ! » C’est aussi le foyer, aujourd’hui désert, qui méritait d’être béni. On se plaignit dès l’origine que la maison de Beethoven, comme celle de Socrate, fût trop petite. « Beaucoup de personnes, rapporte Elwart, privées de pouvoir assister aux concerts de la Société, expriment annuellement le désir que le Comité fasse construire un plus vaste local. Mais l’expérience qui en a été faite très souvent prouve surabondamment que le style très délicat et très fleuri des symphonies qui forment le fond du répertoire fait une loi à la Société de ne pas abandonner une salle qui, de l’avis des connaisseurs, est un véritable Stradivarius, tant sa sonorité est parfaite, et dont la construction remplit les conditions acoustiques les plus favorables pour l’objet auquel elle est destinée. » S’il est vrai, dans l’ordre de la nature, que la fonction crée l’organe, on peut dire qu’ici, dans l’ordre de la beauté, l’organe assurait la fonction et la maintenait à l’état de perfection absolue et constante.

Était-elle jolie ou laide, cette petite salle ? On ne le savait, on ne se le demandait même pas, tant elle était bonne. On aimait tout en elle, jusqu’à son air ancien, un peu passé : le ton pâle du décor, avec les médaillons, vaguement ressemblans, des vieux maîtres ; des plus vieux, jusqu’à Orphée ! En haut, sous les cintres, de petits Amours volaient dans des ciels bleus, tenant des cartouches où de grands noms étaient écrits. Tout au fond, sur le rouge pompéien de l’hémicycle, souriaient les Muses gardiennes. Si les yeux n’étaient point offensés, le reste du corps avait à souffrir : de la température d’abord, glaciale pendant les répétitions, étouffante pendant, les concerts ; ensuite et surtout des sièges, aussi célèbres par leur étroitesse que par leur dureté. Les musiciens n’étaient pas à cet égard mieux partagés que les auditeurs. Un ancien secrétaire du Comité nous racontait qu’à l’origine on avait, sur chaque banquette, assis un certain nombre de dames choristes. Au bout de quelques années, sans que les occupantes fussent devenues plus nombreuses, ni plus courtes les banquettes,