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ces dames se plaignirent et réclamèrent plus d’espace. On dut, après enquête, reconnaître le bien fondé de leur demande et faire droit à des exigences qui s’étaient accrues avec l’âge.

Dans la salle même, autrefois, tout le monde n’était point assis. Il y eut longtemps des places debout, presque dehors, en des couloirs obscurs. C’étaient des places d’attente, ou d’espérance. Quelques-unes étaient privilégiées, comme celle qu’un vieil abonné refusait d’échanger pour une autre, à cause d’un clou planté dans la muraille, où du moins il pouvait se tenir et presque se reposer. Au Conservatoire, on écoutait partout, « même aux portes »[1]. Derrière le décor, derrière ces cloisons qu’on sentait légères, on devinait des oreilles attentives. Des jeunes gens, des aveugles, étaient là. Chaque dimanche avant le concert, on les voyait arriver, gagner des loges mystérieuses, et parfois on les enviait d’entendre, plus finement sans doute, d’aussi parfaites harmonies.

Mais à ce modeste bleu le hasard avait fait d’étranges faveurs. Les choses mêmes y étaient propices. Non seulement la musique était interprétée là comme nulle part, mais comme nulle part elle y était sonore. Il semblait qu’elle y éveillât les vibrations d’un air plus subtil et plus pur. À l’accord, et comme à la convenance universelle, l’assistance participait. Le public du Conservatoire n’était peut-être pas plus intelligent qu’un autre ; mais, parce qu’il était moins nombreux, il donnait l’impression, ou l’illusion, d’une élite. Chacun de nos concerts parisiens du dimanche a sa physionomie particulière. Celle des Concerts-Colonne est animée, populaire, avec je ne sais quoi de cordial et de généreux. Là-bas les têtes sont chaudes, promptes à l’enthousiasme ainsi qu’à la colère ; aux petites places, les meilleures, se presse une foule sympathique et bon enfant. Chez M. Lamoureux au contraire, la sympathie est ce qui manque le plus. Là, rien n’est aimable. La sonorité du Cirque est mauvaise autant que l’aspect en est déplaisant. M. Cherbuliez, dans un de ses romans, assure que le bonheur est rond. En cette rotonde pourtant je n’ai jamais pleinement goûté le bonheur d’entendre. Surtout d’entendre Beethoven. Il n’est pas là chez lui. C’est pour un autre que vient un public plus élégant, plus mondain, peut-être moins sincère et moins naïf que le public du Châtelet ; c’est pour un autre que de jeunes doctrinaires promènent dans la galerie circulaire leur importance farouche et leurs propos obscurs.

  1. Berlioz.