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inévitable et naturelle avec laquelle il répète tout ce que les journaux et le public en Espagne ont dit du général Weyler, il montre une fois de plus à quel point M. Mac-Kinley est faible et en quête de popularité : c’est un politicien de bas étage, qui désire à la fois maintenir la porte ouverte de mon côté et rester en bons termes avec les chauvins de son parti. » Une telle liberté de langage est dangereuse, même dans une conversation ; elle l’est encore plus dans une lettre. Celle de M. Dupuy de Lôme a été volée, sans que l’on sache exactement dans quelles conditions, et au lieu d’arriver à son destinataire, c’est-à-dire à M. Canaléjas, elle est tombée entre les mains de la junte cubaine de New-York, qui l’a publiée aussitôt. On juge du scandale ! M. Dupuy de Lôme a compris qu’il ne lui restait plus qu’à donner sa démission, et M. Sagasta s’est empressé de l’accepter.

L’affaire aurait dû en rester là. M. Dupuy de Lôme s’était fait justice à lui-même, et la rapidité avec laquelle il avait été remplacé constituait, de la part du cabinet de Madrid, un désaveu formel de sa lettre. Tout autre gouvernement que celui des États-Unis se serait contenté de cette satisfaction ; — d’autant plus qu’il n’était pas lui-même sans reproches, et que, dans d’autres circonstances, on aurait pu lui demander compte de la violation du secret d’une correspondance privée. — Il n’est pas d’usage, non seulement entre des gouvernemens, mais encore entre des particuliers qui se respectent, de faire état d’une lettre dont on ne peut pas avouer l’origine. Mais le gouvernement américain n’a pas de ces scrupules, et son représentant à Madrid, le général Woodford, a été chargé de demander des explications sur quelques-uns des paragraphes de la lettre de M. Dupuy de Lôme, notamment sur celui qui visait M. Mac-Kinley et que nous avons cité. C’était assurément dépasser la mesure. Le cabinet de Madrid a eu une attitude pleine de dignité, en même temps que de sang-froid. Il a estimé que la démission de M. Dupuy de Lôme et son remplacement immédiat devaient clore l’incident, et il est probable qu’à Washington on finira aussi par être de cet avis. Certes, les expressions que M. Dupuy de Lôme a appliquées au Président des États-Unis peuvent être considérées comme injurieuses, et comme tout à fait injustes ; mais M. Mac-Kinley a un moyen très simple de le prouver d’une manière éclatante : c’est de faire le cas qui convient d’un incident de cette nature, qui ne mérite pas de peser un jour de plus sur les rapports de deux grands pays.

Par malheur une partie de l’opinion se montre, en Amérique, de plus en plus exaltée et exigeante à propos des affaires cubaines.