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campagne. » Ce qui signifiait : Pourquoi donc, au lieu de les attaquer où ils sont forts, n’allez-vous pas les chercher où ils sont faibles ?

Cependant les cheminemens s’avançaient. Les Anglais, toujours en retard, étaient encore à deux cents mètres du Grand-Redan, objectif de leur attaque, et nous à quarante mètres seulement de Malakofï et du Petit-Redan, objectifs de la nôtre. Alors les attitudes des chefs de notre armée changent. Pélissier, si impétueux à s’avancer avant le 18 juin, malgré les objections de Niel, est devenu très circonspect, et c’est Niel, le temporisateur, qui alors devient l’impatient, déclarant les travaux arrivés à ce point qu’un retard n’était plus possible. D’accord avec les Anglais, il réclame un bombardement général pendant trois jours et l’assaut successivement sur tous les points de la ligne en commençant par Malakoff. Cet avis fut adopté. Le bombardement commença le 5, et l’assaut fut décidé pour le 8, cette fois à midi, pour dépister les assiégés, habitués à être attaqués à la première heure.

Le 7 au soir, quand Sébastopol eut été en quelque sorte pile par le bombardement, Pélissier réunit ses généraux. Il leur expliqua la manière dont il entendait procéder. Quoique l’attaque n’eût pas les mêmes chances sur tous les points, elle aurait lieu sur tous, mais successivement. On commencerait à la droite de Malakoff au Petit-Redan, puis, à des signaux convenus, au Grand-Redan, et enfin au Bastion Central. Quand il se fut assuré que chacun avait bien compris le rôle qui lui était confié, il congédia la réunion par ces mots : « Je suis heureux que vous approuviez mes dispositions. Je voulais vous demander vos conseils, quoiqu’il soit présumable que je ne les aurais pas suivis. Allons, messieurs, il se fait tard ; allez dîner et prendre du repos ; bonne nuit. Il y en aura pas mal parmi vous qui auront demain la gueule cassée, mais Sébastopol sera à nous. » En effet, le lendemain, Sébastopol était à nous.

Partout, les assiégés sont enlevés par le premier élan des alliés, mais ils font rage de leur artillerie, de leur mousqueterie ; ils se reforment, reviennent à la charge sur les cadavres de leurs camarades, et ils reprennent pied partout, sauf à Malakoff’. Or là est la victoire ou la défaite. Ailleurs, les échecs sont sans conséquence si l’on reste maître de ce bastion, espèce de citadelle en terre de 350 mètres de longueur, sur 150 de largeur, qui domine une partie de Sébastopol et d’où l’on prend de revers le