Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se passe au dehors. Quand après un mois ou deux d’internement on doit les mettre en liberté, on prend la précaution de les emporter, pour les lâcher, à plusieurs kilomètres de ce colombier de passage, auquel ne les rattache d’ailleurs aucun souvenir agréable. Or nous avons constaté que, très souvent, les pigeons savent retrouver cette maison dont ils ne connaissent même pas les abords. Ils viennent se poser sur son toit ; puis, après un arrêt très court, ils s’orientent et disparaissent pour se rendre au colombier natal.

La loi du contre-pied nous permet d’expliquer la conduite du pigeon. Celui-ci, emporté et mis en liberté à la gare des Aubrais par exemple, reprend son contre-pied et vient planer au-dessus du colombier d’internement qui représente pour lui le point terminus de l’itinéraire par lequel on l’a amené à Orléans. C’est donc de là qu’il partira pour reprendre en sens inverse ce chemin dont le souvenir est resté profondément gravé dans sa mémoire.

Nous pourrions multiplier les exemples du même genre pour démontrer (rue le pigeon égaré revient toujours au point du lâcher. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d’œil sur les toits des gares de Paris, Orléans, Blois, Tours, Poitiers, Bordeaux, etc., où chaque dimanche dans la belle saison on met en liberté des centaines et parfois des milliers de pigeons. On constaterait le lundi le retour de nombreux pigeons égarés la veille, qui, n’ayant pas réussi dans un premier voyage à retrouver le toit natal, vont faire une deuxième et parfois une troisième tentative pour découvrir le bon chemin.

Quand, mis en liberté la veille, le pigeon a pris son essor, il a fui à tire-d’aile ce point du lâcher auquel en apparence aucun souvenir, aucun intérêt ne le rattachait. D’un vol puissant, il a franchi 400, 500 kilomètres, peut-être davantage, dans une fausse direction ; — s’apercevant de son erreur, il sait, grâce à un mystérieux instinct reprendre son contre-pied et retrouver son point de départ, le point du lâcher qu’il a à peine entrevu le matin. Le jeu combiné des cinq sens ne saurait expliquer un semblable retour.

Le chien perdu se comporte absolument de la même manière. Quand, amené en chemin de fer sur un terrain de chasse complètement inconnu, il vient à s’égarer, il revient au point où il a vu son maître pour la dernière fois et y stationne jusqu’à ce qu’on vienne le chercher ; ou bien encore, reprenant son contre-pied, il