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alors guidé par le sixième sens. Ayant de la sorte atteint l’horizon connu, à 80 kilomètres par exemple de sa demeure, il cesse de recourir au sixième sens, pour marcher, à la vue, droit sur son toit.

D’autres fois, le pigeon ne songe pas en arrivant dans le terrain connu à faire usage des cinq sens ; dans ce cas il suit son contre-pied jusqu’au colombier. Il le dépasse parfois : c’est ainsi que nous avons vu des pigeons rentrant d’un grand voyage passer à 40 ou 50 mètres du colombier, le dépasser et rentrer seulement au bout d’une heure ou deux, ayant peut-être parcouru de la sorte dans une fausse direction de 30 à 60 kilomètres.

Si on emporte à 10 kilomètres du colombier un pigeon commun habitué à se servir presque exclusivement des cinq sens et un pigeon voyageur rompu aux grands voyages, on fera souvent en les lâchant successivement une remarque intéressante : le pigeon commun, marchant à la vue, prendra généralement son parti beaucoup plus rapidement que le pigeon voyageur, qui s’orientera avec soin à l’aide du sens de direction.

De ces faits nous pouvons conclure que le sens de direction ne combine pas son action avec celle des cinq autres. Il entre en activité dans la zone où les cinq sens sont muets, et continue parfois à fonctionner dans la zone connue à l’exclusion des autres sens.

Il semble qu’il ne soit pas actionné par des impressions émanées de la route suivie, et qu’il soit en quelque sorte un organe subjectif. Nous avons fait à cet égard une très curieuse observation : quand on transporte en chemin de fer un panier de pigeons ayant déjà la pratique des voyages, on les voit manifester une très grande agitation dès qu’on arrive dans une gare où ils ont été déjà lâchés, tandis qu’ils sont restés indifférens aux arrêts précédens. Or on admettra sans peine qu’un pigeon enfermé dans un panier, lequel est lui-même installé dans un wagon obscur, ne peut d’après le bruit discerner une gare d’une autre. Sa vue et ses autres sens ne lui sont d’aucun secours, puisqu’il est aussi complètement que possible isolé de ce qui se passe au dehors, et cependant il sait d’une façon très exacte où il se trouve par rapport à son point de départ. Nous avions donc raison de dire que l’animal emporté au loin possède sur sa situation une notion toute subjective, indépendante du milieu qu’il traverse momentanément.

La mythologie nous raconte que Thésée pénétrant dans les