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sans de durs efforts qu’il parvint à prendre conscience des ressources obscures dont il pouvait disposer ; ce ne fut pas sans des années d’hésitations et de luttes solitaires qu’il arriva à dégager son originalité philosophique et artistique, et à se créer une langue personnelle. De 1847 à 1855, — où la représentation de sa comédie du Demi-Monde lui indique la voie à suivre, — il accumule un peu au hasard, et avec des succès variables, douze ou quinze volumes compacts de romans ou de nouvelles, et il fait jouer deux pièces de théâtre, sans parler d’un court libretto de drame lyrique, aujourd’hui absolument oublié. Tout ce fatras est, en général, plus que médiocre, et vaudrait à peine une mention rapide, si les essais, même manques, d’un grand écrivain n’étaient susceptibles, jusque par leurs défauts, d’aider à mieux comprendre son œuvre véritable. Dumas fils commence par un long et ennuyeux récit à prétentions humoristiques, les Aventures de quatre femmes et d’un perroquet ; puis il se lance sur les traces de son père à travers le Moyen Age, et il en rapporte cet étonnant Tristan le Roux qui semble bien une des plus joviales parodies qu’on ait jamais composées de la littérature pseudo-historique ; puis il fait du feuilleton, ténébreux dans Trois hommes forts, sentimental et larmoyant dans Automne ; il aborde le roman philosophique, et, s’il échoue complètement dans le Docteur Servans, il n’échoue guère moins dans le Régent Mustel, malgré un point de départ curieusement imaginé, et qui eût pu prêter à des développemens intéressans ; il se risque même, à deux reprises, dans la Boîte d’Argent et dans Offland, sur le terrain du conte fantastique, à la manière d’Edgar Poë ou d’Hoffmann ; il y reste malheureusement très en arrière de ses devanciers. De ces multiples ouvrages de jeunesse, les seuls en somme qui méritent qu’on s’y arrête, et où se dessine déjà vaguement la promesse des fortes créations de l’âge mûr, ce sont les tableaux de mœurs et les peintures de passions inspirés par des souvenirs privés. Dans des livres, comme la Dame aux Camélias, comme Diane de Lys, comme la Dame aux Perles, comme la Vie à vingt ans, il faut évidemment voir des chapitres de mémoires autobiographiques, où l’écrivain démarque à peine ses propres aventures, et transcrit presque littéralement ses observations prises sur le vif. Il sentit que la veine était féconde ; aussi, quoiqu’il ne se crût aucune aptitude pour le théâtre[1],

  1. Cet aveu assez singulier se trouve formulé dans la préface de la Dame aux Camélias, édition des comédiens.