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eut-il rapidement l’idée de transporter sur les planches les demi-fictions romanesques faites de ses émotions passées. Du roman de la Dame aux Camélias, il tira une pièce retentissante : dans les romans de Diane de Lys et de la Dame aux Perles combinés, il trouva la matière d’une seconde pièce, qui ne bénéficia pas de la popularité de la première, mais qui relève des mêmes procédés, et qui appartient au même cycle.

On s’accorde assez ordinairement à voir, dans l’apparition devant la rampe de cette légendaire Dame aux Camélias, le début d’une ère dramatique nouvelle ; et un des titres de gloire de son auteur semble être d’avoir créé, avec les mélancoliques amours de Marguerite Gautier, la « comédie de mœurs contemporaines. » Maintenant, c’est presque une opinion établie. On se demande seulement par quel ensemble de subtiles considérations littéraires ou morales, le public et la critique ont bien pu aboutir à une si fantaisiste conception. Le fait de situer l’action dans la société moderne ne constituait pas une découverte ; le souci du réalisme de la mise en scène avait déjà été érigé par Victor Hugo à la hauteur d’un dogme ; l’histoire de la courtisane amoureuse est aussi vieille que l’humanité ; si le romancier avait pu en rajeunir la banalité essentielle par une multitude de détails accessoires rigoureusement observés, et, comme on dit, vécus, le dramaturge s’était naturellement trouvé contraint, de par les lois nécessaires de la scène, à élaguer les digressions parasites ; l’anecdote, ainsi présentée toute nue et toute crue, n’était pas demeurée moins touchante, mais avait singulièrement perdu de son caractère ; et ni la contexture enfin, ni le style de ces cinq actes ne les classaient manifestement en dehors du répertoire dramatique de l’époque. Et, en somme, nous touchons là le point capital à dégager d’une étude sur la première manière d’Alexandre Dumas fils : jusqu’à la date du Demi-Monde, ou bien il s’égare complètement, en une série d’essais avortés, à la poursuite de sa propre vocation, ou bien il fait du romantisme, de qualité inférieure sans doute, mais très conforme à l’esthétique de l’école, ne fût-ce que par l’emploi immédiat, direct et avoué de ce que l’auteur appelle « le contre-cri de ses émotions personnelles ».

A cet égard, rien de plus curieux que d’assister à l’évolution intime par où il libère son individualité de la tradition ambiante. Avec Marguerite Gautier et Armand Duval, nous sommes à peine sortis de 1830, et, surtout dans le drame, si les deux