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sous le régime du suffrage universel inorganique, — ce sont les minorités qui gouvernent, cela est vrai, mais cela n’en vaut peut-être pas mieux, et puis, cela ne dure qu’aussi longtemps que les majorités ne s’en aperçoivent point. En réalité, la représentation légale, politique ou administrative, depuis tantôt vingt ans, n’est pas proportionnelle chez nous aux quantités sociales qu’elle est censée représenter ; et là, certainement, — avec l’une des causes du malaise actuel, et de la faiblesse du gouvernement, — là aussi est l’une des causes de l’antisémitisme. Trente-huit millions de Français ne se sentent pas plus d’humeur aujourd’hui qu’il y a cent ans à plier éternellement sous la domination de quelques centaines de milliers d’entre eux, les derniers venus, les plus récens de la famille ; et, pour secouer cette domination, s’ils n’emploient que des moyens légaux, comme de faire voir ce que cette domination a d’inégal ou d’inique, je conçois bien que l’on s’en fâche, mais non pas qu’on leur en dispute le droit, et qu’on crie à l’intolérance.

D’autant plus, — et c’est encore ce que cache l’antisémitisme, — d’autant plus que, depuis ces vingt ans, on a comme épuisé contre ces trente-huit millions tout ce qu’il y a de mesures de persécution compatibles avec les apparences ou l’hypocrisie de la paix. Les lois qu’on appelle « intangibles » sont là pour le prouver, la loi scolaire surtout ; ou encore l’accusation de cléricalisme qu’on intente à tout gouvernement qui a l’air seulement de moins « persécuter » qu’un autre. Considérez aussi la manière dont on traite les « ralliés » et demandez-vous ce que l’on défend contre eux ? Je veux bien que ce soit la possession effective du pouvoir, et sans doute elle en vaut la peine ; mais surtout c’est un ensemble d’idées, et, si je l’ose dire, c’est un Anticredo. « À nous donc, — lisions-nous récemment dans l’Univers Israélite, une vieille Revue, qui a plus de cinquante ans d’existence, — à nous juifs, protestans, francs-maçons, et quiconque veut la lumière et la liberté, de nous serrer les coudes et de lutter pour que la France, comme dit une de nos prières, conserve son rang glorieux parmi les nations ! » Ce cri de guerre n’est-il pas caractéristique ? Il y a au moins un juif qui estime que la France doit lui appartenir, à lui, et à ses coreligionnaires ; que son « rang glorieux parmi les nations » dépend d’appartenir aux juifs, protestans, francs-maçons ; et qu’elle cesserait d’être elle-même en cessant de leur appartenir. Voilà déjà qui donne à songer ! Mais si