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et qui est tout bonnement puérile. On s’étonne de le voir écrire : « De même que Ronsard, les classiques français et les anciens eux-mêmes, Chénier ne sait pas ce que c’est qu’une langue et qu’un style poétiques, ou plutôt il s’imagine que la poésie est une question de langue et de style, qu’il y a des alliances de mots et des formules qui sont poétiques en elles-mêmes » ; et on regrette que M. Louis Bertrand, qui sait évidemment ce que c’est que la poésie, ait omis de nous le dire. Il est plus près de la vérité quand il s’amuse de quelques-unes des périphrases d’André Chénier :


Le lait, enfant des sels de ma prairie humide,
Tantôt breuvage pur, et tantôt mets solide,
En un globe fondant sous ses mains épaissi,
En disque savoureux à la longue durci ;…


ou encore quand il note l’incohérence de quelques-unes de ses métaphores :


Daigne, du haut des cieux, goûter le libre encens
D’une lyre au cœur chaste, aux transports innocens.


Et, sans doute, il est bien dur quand il définît le Jeune Malade, — c’est la pièce célèbre :


Apollon, Dieu Sauveur, Dieu des savans mystères —


« un véritable pot-pourri de souvenirs classiques » ; mais je crains qu’au fond M. Louis Bertrand n’ait raison contre l’apologie qu’en a faite M. Henri Potez.

Au surplus, leur vrai mérite à tous deux, et l’intérêt de leurs deux livres est-il ailleurs, je veux dire dans la tentative qu’ils ont faite l’un et l’autre pour replacer enfin Chénier dans son « milieu ». « Rendons Chénier au XVIIIe siècle, avait dit un critique, mais isolons-le dans le XVIIIe siècle » ; et M. Emile Faguet à son tour : « C’est un poète dans un siècle de prose ; un « ancien » dans un temps où les anciens ont cessé d’inspirer la littérature ; un « Grec » dans un temps où l’on est aussi éloigné que possible de ces sources antiques de l’art européen. » Ce que M. Henri Potez, au contraire, a montré, c’est qu’avant tout, il y a du Dorat, du Parny, du Bertin dans les Elégies : il y a aussi du Lebrun Pindare. A vrai dire, Chénier n’est pas plus « isolé » parmi ces minores que Corneille, autrefois, dans la troupe des Mairet, des Rotrou, des du Ryer, que Ronsard dans la compagnie des Baïf ou des Jodelle : il les dépasse seulement. Et, comme le fait voir M. Bertrand avec plus d’ampleur, ce Grec et cet ancien l’est plus intime nient, mais non pas plus, ni moins, ni autrement que Caylus l’archéologue ; ou David le peintre ;