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d’affolement en 1868, où il laissa faire bien plus qu’il ne fit, il ne sortit pas de la velléité vague. Il se rendait compte de la consistance que la sagesse du peuple belge et de son roi avait donnée au nouvel établissement, et de la répugnance des populations à perdre l’individualité qu’elles avaient constituée. — Il ne songea à aucun moment au Maroc, à Gênes ou à la Ligurie. — Le Bey de Tunis lui demanda d’établir chez lui un protectorat ; il s’y refusa. Malgré de nombreuses insistances, il ne voulut pas de la Cochinchine aller au Tonkin.

Napoléon III n’a réellement cherché à obtenir, d’une volonté ferme, que ce qu’avait désiré le pacifique Lamartine avant lui : les versans français des Alpes, Nice et la Savoie. Cette garantie indiquée par la nature elle-même contre une extension de la puissance du Piémont en Italie n’était pas à ses yeux une conquête, pas plus que ne le sera pour aucun de nous la reprise de l’Alsace et de la Lorraine : c’était une restitution à l’unité nationale de membres qui lui avaient été arrachés, qui n’avaient cessé de souffrir de la séparation et de protester contre elle. Tous les Italiens sérieux et de bonne foi ont reconnu que ces provinces n’étaient italiennes ni par leur situation, ni par leurs tendances, et qu’elles n’étaient pas indispensables à la défense de l’Italie[1].

L’Empereur, sous la pression de l’opinion publique et quoique cela lui fût personnellement indifférent[2], eût peut-être souhaité, sans toucher aux provinces rhénanes, une rectification de frontières vers le Palatinat. Mais comme toute combinaison de ce genre dépendait du libre assentiment des populations et qu’il savait cet assentiment impossible, il n’a jamais rien sacrifié à cette convoitise mesquine, que le prince Napoléon caressa à son insu.


II

Ses projets, bien modestes ou plutôt nuls en ce qui nous concerne, étaient, au contraire, très amples au profit des autres. Là ses rêves étaient illimités : il songeait au partage de l’Afrique et de l’Asie. En Europe, il voulait au midi l’union ibérique ; au

  1. Italiane nè per situazione, nè per tendenze, neppure indispensabili alla difesa d’Italia. Generale Giacomo Durando, Della nazionalità italiana, 1849, p. 88 et 89. — Cavour à Emmanuel d’Azeglio, le 8 mai 1860 : « Nous sommes convaincus que ces deux pays (Nice et la Savoie) ne font point partie de la nationalité italienne. »
  2. Sybel, t. V, p. 214.