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sociologie. Enfin, il commença à publier ses Préfaces ; il tâcha d’y mettre tout ce qu’il n’avait pas mis dans ses pièces passées et tout ce qu’il rêvait de mettre dans ses pièces à venir. Il habituait ainsi peu à peu le public, non pas seulement à le considérer comme un simple écrivain de grand talent, mais à l’envisager sous les espèces plus majestueuses d’un législateur, d’un juge, d’un pontife, et d’un prophète.

Les désastres de la guerre franco-allemande achevèrent de déterminer cette troisième vocation. La catastrophe de l’année terrible lui apparut comme la preuve brutale que les aspirations indécises, qu’il sentait depuis longtemps fermenter en lui, se trouvaient justifiées par la suite des événemens. En 1867, dans la préface de la Dame aux Camélias, il avait annoncé que « la maison brûlait » ; en 1869, dans la préface de l’Ami des femmes, il avait parlé incidemment « de l’invasion des barbares, de l’étranger ou de la populace » ; ce qui lui permit, en 1873, d’affirmer à M. Cuvillier-Fleury, de la meilleure foi du monde, qu’il avait montré, « lorsque personne ne les voyait encore, les barbares en marche sur Paris, et le triomphe de la populace, et les ruines au milieu desquelles la France trébuchait depuis deux ans. » Il avait en effet proclamé que « les temps prédits étaient proches », et que « Dieu avait de nouveau prévenu Noé ». Et, à la vérité, des paroles de cette sorte, en ce style à la fois biblique et sibyllin, n’engageaient pas outre mesure sa responsabilité. Très sincèrement, néanmoins, sous le coup de l’ébranlement nerveux que subirent chez nous, à l’heure de la défaite, les cerveaux les mieux organisés, il crut à sa mission ; et, avant d’avoir ressaisi son sang-froid, il écrivit un certain nombre de pages, dont quelques-unes sont bien parmi les plus bizarres de notre littérature et de toutes les littératures.

On doit noter ici que, pendant son stage de demi-recueillement, il s’était pris d’une belle passion pour les études scientifiques et en particulier pour la physiologie. La connaissance exacte des fonctions organiques du corps humain lui paraissait, avec raison, une des bases essentielles de toute sociologie et de toute morale ; et, en s’intéressant à la médecine, voire à l’hygiène, il suivait la tradition constante des grands législateurs religieux. On n’aurait donc rien à objecter aux considérations ultra-pathologiques dont, en de multiples occasions, il parsème largement ses ouvrages, si son imagination ne l’entraînait souvent plus qu’il ne faut sur le