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travail préliminaire (inflammation en un point), comme le poids élevé et laissé immobile à une certaine hauteur, d’être par un faible effort détaché de son support. Cette condition remplie, l’énergie va se manifester avec évidence. Nous devons admettre qu’elle existait à l’état latent, à l’état d’énergie potentielle chimique. Sous l’excitation reçue le carbone se combine à l’oxygène et fournit de l’acide carbonique : l’énergie potentielle se change en énergie réelle, et aussitôt après en énergie calorifique. On n’aurait qu’une idée très incomplète et fragmentaire de la réalité des choses si l’on considérait isolément ce phénomène de combustion sans le rapprocher de celui qui a précisément créé l’énergie qu’il va dissiper. Ce fait antécédent c’est l’action du soleil sur la feuille verte ; le charbon qui brûle dans le foyer de la machine sort de la mine où il était accumulé à l’état de houille, c’est-à-dire d’un produit primitivement végétal qui s’était formé aux dépens de l’acide carbonique de l’air. La plante avait séparé, aux frais de l’énergie solaire, ce carbone de l’oxygène auquel il était uni dans l’acide carbonique de l’atmosphère et créé ainsi l’énergie potentielle chimique qui a si longtemps attendu son utilisation : la combustion dépense cette énergie en refaisant l’acide carbonique.


La fécondité de la notion d’énergie vient donc, d’après tous ces exemples, de la liaison qu’elle établit entre les phénomènes de la nature, dont elle rétablit l’articulation nécessaire rompue par l’analyse à outrance de la science ancienne. Elle nous amène à ne voir dans le monde des phénomènes pas autre chose que des mutations d’énergie. Et ces mutations, elles-mêmes, nous apparaissent comme la circulation d’une sorte d’agent indestructible qui passe d’une détermination formelle à une autre comme s’il changeait simplement de déguisement. Si notre intelligence a besoin d’images ou de symboles pour embrasser les faits et saisir leur rapport, elle les trouvera ici. Elle matérialisera l’énergie, elle en fera une sorte d’être imaginaire, et lui conférera une réalité objective. Et, c’est là pour l’esprit, à la condition qu’il ne devienne pas dupe du fantôme que lui-même aura forgé, un artifice éminemment compréhensif qui rend saisissans les rapports des (phénomènes et leur lien de filiation.

Le monde nous apparaît alors, comme nous le disions au début, construit avec une symétrie singulière. Il ne nous offre