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quelque espoir de le faire triompher, ils voteront pour lui ; mais, quand ils auront à choisir entre un radical et un modéré, ils feront sans doute le même raisonnement que M. Cochin faisait à la Chambre. L’exemple de ce qui s’est passé à Bordeaux trouvera peu d’imitateurs. On sait que les royalistes, les radicaux et les socialistes bordelais ont donné le scandale d’une alliance qui leur a valu la victoire municipale, mais qui leur a coûté, aux uns et aux autres, quelque chose de leur honneur politique : ce n’est certes pas un précédent à renouveler. Il est rare qu’un parti profite d’une attitude que la simple morale réprouve : l’histoire du boulangisme est là pour le prouver. Le parti royaliste n’a certainement pas eu à se louer de s’y être fourvoyé, et il n’aurait pas à se louer davantage de se fourvoyer aujourd’hui avec les radicaux. Nous lui rendons cette justice qu’il n’y paraît pas disposé.

Maintenant la parole est au pays. Déjà la campagne électorale est engagée sur plusieurs points, et on commence à en recueillir les échos à Paris. La Chambre se meurt, la Chambre est morte ! A en juger par ce que les journaux disent d’elle et par ce que les conversations en rapportent, elle ne laissera pas beaucoup de regrets. Peut-être n’a-t-elle pas mérité plus que ses devancières les reproches qu’on lui adresse de tous les côtés, mais elle ne les a pas mérités moins, et nous sommes à un moment où le désenchantement, le découragement et l’impatience se tournent volontiers en sévérité. Notre régime parlementaire, tel qu’il est pratiqué depuis quelques années, a causé une lassitude générale, lassitude qui est ressentie plus lourdement encore par ceux mêmes qui le pratiquent. Il se produit aujourd’hui un phénomène assez nouveau dans notre histoire électorale ; c’est qu’un nombre relativement considérable de députés annoncent l’intention de ne pas demander aux électeurs le renouvellement de leur mandat. On en compte déjà près d’une cinquantaine, proportion qui ne s’était pas encore rencontrée. Sans doute, il y en a dans le nombre qui désertent la lutte parce qu’ils savent d’avance qu’ils seraient finalement battus ; mais ce n’est pas la majorité d’entre eux, et beaucoup s’en vont uniquement parce qu’ils en ont assez. Ils se sentent à bout de forces et de courage.

Leur exemple n’est pas à recommander. Qu’arriverait-il, en effet, si ceux qui se rendent le plus clairement compte des imperfections du régime actuel renonçaient à y porter remède ? Ils seraient remplacés, en mettant les choses aux mieux, par des apprentis sans expérience. Pourtant, on ne peut pas les blâmer tous, et indistinctement, sans tenir compte de leurs motifs. Quand un homme comme M. Eugène Melchior