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de Vogüé, par exemple, renonce à représenter plus longtemps à la Chambre les électeurs d’Annonay, il faut bien admettre qu’il a pour cela des motifs sérieux. Il parle à la vérité « d’impérieuses raisons d’ordre privé » ; il assure que sa retraite est seulement « momentanée » ; mais, quand on relit sa lettre, on voit bien qu’à côté des raisons d’ordre personnel qui ont fixé sa détermination, il y a aussi des raisons d’ordre général. M. de Vogué a des mots cruels pour la Chambre, et pour le régime parlementaire lui-même, au moins dans les conditions où il fonctionne. « J’ai acquis, dit-il, la conviction réfléchie que toute parole sincère est déplacée, inutile, sur ce théâtre du Parlement, où tout n’est que mensonge et charlatanisme. » Cela est dur, et même injuste. Qu’il y ait du charlatanisme à la Chambre, comme il y en a d’ailleurs dans la plupart des métiers, et même un peu plus si l’on veut, soit ; pourtant tout n’y est pas comédie et duperie. « On vous trompe avec des mots », continue M. de Vogüé : cela est vrai quelquefois, mais pas toujours. M. de Vogüé lui-même rend justice à M. Méline qui est, écrit-il, « un très honnête homme ». Est-ce que M. Méline, quand il est à la tribune, trompe son auditoire avec des mots ? Est-ce qu’il ne dit pas ce qu’il pense ? Est-ce qu’il y mêle du charlatanisme ? Est-ce qu’il n’y apporte pas, au contraire, une grande simplicité, et un accent de droiture auquel on ne se trompe point ? Et nous demanderons enfin à M. de Vogüé si ce n’est pas précisément par ces moyens que M. Méline a gouverné pendant deux ans avec la confiance d’une majorité toujours croissante ? La vérité, c’est qu’il y a, même dans la Chambre, un très grand nombre d’hommes de bonne volonté, intelligens, instruits, laborieux et parfaitement sincères, mais le malheur est qu’ils sont et se savent impuissans. Le découragement qui s’empare de tant de députés, et que M. de Vogüé a éprouvé lui-même, vient de la disproportion qu’ils sentent exister entre l’effort qu’ils font et le résultat qu’ils atteignent. Il n’y a pas de machine au monde qui peine davantage et qui fasse moins de besogne utile que le Parlement d’aujourd’hui. Cela vient évidemment d’un vice fondamental dans l’organisation du travail ; mais ce vice est-il donc inguérissable ? N’ayant pas existé toujours, du moins au même degré, pourquoi durerait-il à perpétuité ? Il tient, nous ne l’ignorons pas, à la nature même du gouvernement parlementaire. Tous les gouvernemens ont leurs défauts, contre lesquels il faut lutter sans cesse pour les empêcher de se développer. Seulement, depuis quelques années déjà, on ne lutte plus contre les défauts inhérens à notre régime républicain et parlementaire : on y cède avec docilité, si ce n’est avec