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sincères : ceux-là pouvaient sans ironie s’inquiéter pour l’indépendance de la couronne et réclamer sans contradiction les antiques énergies du bras séculier. Le parti libéral eut la fortune de se couvrir par eux et l’art de les exploiter : il les mit en avant pour le combat et se réserva pour le profit.

Ainsi s’explique l’importance prise par un homme des vieux âges, quand il vint rappeler l’arbitraire de l’ancien régime, comme ces revenans qui traînent des bruits de chaînes dans les demeures abandonnées. Revenant, il le fut, ce Montlosier qui, depuis 1790, ne comptait plus dans la mémoire des hommes. Député quand l’Assemblée constituante décréta la spoliation des biens ecclésiastiques, il avait dit : « Vous enlevez aux évêques leur croix d’or, ils prendront une croix de bois, c’est une croix de bois qui a sauvé le monde. » Le mot lui avait fait une renommée sans lendemain, et depuis trente-cinq ans il survivait, oublié, à sa gloire d’un jour. Non qu’il eût accepté son obscurité : toujours et par les tentatives les plus diverses, il avait voulu redevenir un personnage. Ses dons et ses défauts expliquaient à la fois ses ambitions et ses échecs. La nature avait commencé en lui plusieurs hommes remarquables et n’en avait achevé aucun. Avec on ne sait quoi de plus, il eût été, comme il le souhaitait, extraordinaire, et il n’était que bizarre. Son intelligence était puissante et sans méthode, son éloquence naturelle, mais gâtée par l’enflure, sa volonté passionnée jusqu’à la frénésie pour des objets qui le lendemain lui devenaient étrangers, et il avait passé sa vie à promener un peu partout l’inconstance de ses idées fixes. Elles n’étaient stables que par l’orgueil aristocratique ; il lui rendait inintelligible tout autre régime que l’absolutisme d’une monarchie, tempéré par les privilèges d’une noblesse. A ses yeux, cette noblesse, descendante des conquérans, avait une primauté inamovible sur la nation, fille des vaincus, et le roi était le roi parce qu’il était le premier des nobles. Cette foi historique dominait sa foi religieuse, sincère pourtant. Le Germain qui s’obstinait à durer en lui redoutait l’Eglise comme la rivale la plus dangereuse de l’aristocratie auprès des princes, dédaignait au fond cette Eglise gallo-romaine d’origine, et en condamnait l’indépendance comme une révolte de vilains. De plus, janséniste, il détestait les doctrines ultramontaines et la compagnie de Jésus. Au moment où le parti libéral affectait des craintes, Montlosier les éprouva ; il les rendit publiques en 1824, par trois lettres adressées au Drapeau blanc. Ce chrétien qui avait trouvé dans sa conscience