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— Et quand tu seras partie, — dans le gris hiver, — à travers les murs de la maison — et le tapage des hommes — je reverrai toujours — tes cheveux d’or — et tes pieds blancs — et leur danse légère ; — et du seuil au foyer, comme des chansons d’oiseaux venus du sud, — voltigeront autour de moi les mots de ta bouche.


La petite fille fut ravie de la chanson, et de voir que son ami l’avait composée pour elle. Elle voulut, en échange, lui donner un cadeau ; mais Osberne n’accepta ni la flûte, ni le collier, qu’elle s’offrait à lui lancer par-dessus le torrent. « Eh bien ! dit-elle, voici qu’il me faut prendre congé de toi. Mais je sens que je ne pourrai pas m’en aller avant que tu ne me l’aies ordonné. — Je te l’ordonne donc, répondit Osberne : et dans trois jours d’aujourd’hui je reviendrai ici. Mais comme je t’embrasserais avec plaisir, sans ce flot qui nous sépare ! — Voilà qui est bon et cher, fit la petite. Adieu, et ne m’oublie pas durant ces trois jours, après m’avoir chanté une si douce chanson ! — Oh ! je ne t’oublierai pas de sitôt ! » dit Osberne. — Et ce fut leur adieu.


Ils se revirent, trois jours après, aux deux sommets de la Colline Coupée. Ils se dirent leurs noms. Osberne fit cadeau à Elfhilde (ainsi s’appelait sa petite amie) de la moitié d’une pièce d’or que sa mère, en mourant, lui avait laissée. « Et moi, demanda Elfhilde, que puis-je pour toi ? » Elle avait déjà mis, pour lui, sa plus belle robe, et le collier brillait sur la neige de sa gorge. Et Osberne lui répondit : « Appelle de nouveau tes moutons autour de toi, en jouant de ta flûte, car je ne connais pas de plus joli jeu. » Elle obéit, et pendant qu’elle jouait et dansait il la mangeait des yeux, « car, en vérité, c’était une merveille et un enchantement de la voir. »

Mais lorsque, à l’un de leurs rendez-vous suivans, Osberne lui eût raconté qu’il avait tué, en combat singulier, un puissant baron, qui avait voulu s’emparer par force du bien de ses grands parens, la petite fille se sentit tout effrayée devant lui. En vain il la pria de jouer de sa flûte. « Non, dit-elle, je ne veux pas sauter comme les bouffons, et te montrer mes pauvres jambes trop longues et trop maigres. Et si j’étais une femme, au lieu d’un enfant, je ne consentirais pas même à laisser voir la cheville de mon pied. Tu ris toujours, quand je gambade au milieu de mes bêtes : et je ne veux plus que tu ries de moi ! — Elfhilde, ma chère, répondit Osberne, tu te trompes. Quand j’ai ri, jamais ce n’a été par moquerie, mais je riais de plaisir de tes gentilles façons, qui ressemblent aux doux mouvemens des feuilles sur les arbres, dans la fraîcheur d’un matin d’été. — N’importe, fit-elle,