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gré. Il se livra tout entier à Cottereau, lui apprit ses projets, lui révéla son plan, la stratégie de la campagne qu’il allait entreprendre, stratégie qu’il n’avait encore dévoilée à aucun de ses affiliés, non point par méfiance, mais par crainte des critiques, des remontrances ou des railleries.

Ce qu’il méditait, en effet, c’était une façon nouvelle de combattre, une guerre de partisans, d’embuscades, de ruses, appropriée au courage sournois des paysans et où les landes et les haies de sa chère Bretagne, qu’il connaissait mieux que personne, joueraient le principal rôle. Il dit le parti qu’on pouvait tirer des routes du pays, presque toujours en déblai, bordées par des rochers et de hautes levées de terre couvertes d’ajoncs offrant des abris inaccessibles : il montra propices aux guets-apens ces bas-chemins, ces champs, clos de broussailles et de lignes d’arbres, qui ne permettaient pas à la vue de s’étendre à plus de cent toises. Cottereau l’écoutait religieusement, s’imprégnant de ses paroles ; le soir, il regagnait sa hutte, grisé, la tête en feu, rêvant aventures et combats. De tous ceux auxquels le marquis de la Rouerie transmit la bonne parole, Cottereau est celui qui profita le mieux de la leçon. On sait qu’il devint fameux sous le nom de Jean Chouan. Comme Vespuce à Colomb, il déroba, sans l’avoir voulu, la célébrité qui devait revenir à son maître ; car si Jean Cottereau fut le parrain de la Chouannerie, la Rouerie en fut bien véritablement le père. Il la créa de toutes pièces, chefs, soldats, armes, stratégie, moyens d’action, tout lui est dû, et c’est à lui seul qu’en doivent revenir les lourdes responsabilités et la redoutable gloire.


Si la confiance des patriotes dans le succès de la révolution augmentait, celle des partisans de la Rouerie n’avait reçu des derniers événemens aucune atteinte. Les affiliés de tous rangs suivaient avec un intérêt anxieux la marche de l’armée des Princes. Le manifeste de Brunswick, qu’avait rédigé un ancien intendant du comte de Provence, Geoffroy de Limon, lancé le 25 juillet, était parvenu le 28 à Paris : la déclaration qui le suivit deux jours plus tard et qui était due à la plume du comte de Moustiers auquel Calonne réservait, dans son futur cabinet, le portefeuille de la marine, avait achevé, dans l’état de fermentation où se trouvait la France, d’enflammer diversement les esprits.

Le 11 août, l’avant-garde de Hohenlohe campait à Rodemach