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et à Sierck, en Lorraine ; le 19, par un temps pluvieux et froid comme en novembre, le gros de l’armée prussienne passait la frontière à Redange. Ce même jour avait lieu, à Fontoy, le premier engagement où la cavalerie française fut mise en déroute : elle s’était défendue pourtant, ce dont Brunswick « ne revenait pas » ; il croyait ne recevoir que des fleurs et des bravos, mais pas un seul coup de fusil. Le 20, Longwy était investi et capitulait après trois jours de pourparlers.

Ces débuts étaient d’un heureux augure pour les émigrés, qui avaient mis le siège devant Thionville. Au camp du comte d’Artois, dont le quartier général était à Hettange, les visages ne respiraient que la joie et l’espérance : on se disait que la campagne serait de courte durée ; on savait que la Bretagne était prête à se soulever ; « il n’était pas un de nous, raconte Las Cases, qui ne se vît, à quinze jours de là, chez lui, triomphant, au milieu de ses vassaux humiliés et soumis ».

On comprend dans quelle angoisse vivaient, au reçu de ces nouvelles, tous ceux qui avaient donné des gages au nouveau régime. Nul doute que si les Princes eussent fait entendre des paroles d’indulgence et d’oubli, leur cause n’eût gagné bien des partisans ; mais Brunswick s’était institué leur porte-parole et il n’annonçait que représailles et châtiment. Les modérés qui seraient venus à résipiscence si on les y eût invités doucement, se voyant acculés à une situation désespérée, brûlèrent leurs vaisseaux et se jetèrent dans le parti extrême. L’infatuation des émigrés, la folle certitude qu’ils avaient de leurs droits et de leurs succès furent les principales causes de la résistance acharnée qu’ils rencontrèrent.

Chévetel, cependant, hésitait encore. La catastrophe du 10 août avait porté ses amis au pouvoir, et, tandis que la marche de la coalition absorbait tous les esprits, seul, dans l’entourage gouvernemental, il connaissait le danger qui, du côté de l’ouest, menaçait la révolution. S’il continuait à se taire, il trahissait son parti politique ; s’il parlait, il livrait à l’échafaud ses amis de Bretagne : l’alternative était cruelle, mais il l’envisageait de sang-froid, soucieux seulement de son intérêt personnel. — Etait-il temps de prendre position ? La monarchie était-elle assez définitivement vaincue pour qu’il n’y eût plus à se compromettre en lui portant un dernier coup ? L’association bretonne était-elle de force à triompher et pouvait-on, sans imprudence, se ranger au