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n’y avait pas une heure à perdre, car, bien que la date du 10, proposée par la Rouerie pour un soulèvement général, eût été repoussée par les commissaires de l’association, il était à craindre que le marquis, se passant du consentement de ses amis, ne donnât le signal de l’insurrection, et ne prît seul le commandement de ses légions.

Le 9, Chévetel arrivait à Saint-Malo et se faisait immédiatement conduire chez ses amis Desilles à la Fosse-Ingant. Ce même jour, Lalligand, dont la voiture suivait de près celle de son compère, descendait à Saint-Servan, à l’hôtel du Pélican, où, avec Burthe, il s’installa confortablement, chose si rare en ce temps de misère, que, dès le premier soir, l’hôtelier Henry conçut des soupçons : des voyageurs faisant tant d’embarras et se donnant de si grands airs, ne pouvaient être que des ci-devant ; le brave homme prévint la municipalité. La gendarmerie de Saint-Servan était alors commandée par ce lieutenant Gadenne que nous avons vu déjà, accompagnant Hévin et Varin, lors des perquisitions opérées au château de la Rouerie. C’était un officier honnête, esclave de la discipline : il se présenta au Pélican, requit la présentation des passeports, et Lalligand, après les lui avoir montrés, ne put se tenir de lui apprendre, sous le sceau du secret, qu’il était commissaire extraordinaire de la Convention nationale, et qu’ils auraient à travailler ensemble. Cadenne alla porter la nouvelle aux municipaux, qui promirent d’être discrets et qui tinrent parole pendant quelques heures.

Cependant Chévetel, confiné à la Fosse-Ingant, ne donnait pas signe de vie, et Lalligand perdait patience. Pour s’entretenir la main, il imagina d’approfondir le patriotisme de son hôte : il manda Henry à sa chambre, et, d’un air de grand mystère, lui confia qu’il était, lui Lalligand, compromis dans diverses intrigues contre-révolutionnaires, et qu’il avait grande hâte de passer à l’étranger. Le pauvre aubergiste, sans méfiance, ne fit aucune difficulté d’avouer qu’il s’était déjà employé à faciliter l’émigration de bien des ci-devant dans l’embarras, qu’il s’engageait à lui procurer le passage pour l’île de Jersey avec laquelle il était en relations constantes, se chargeant des commissions des réfugiés, de l’expédition de leur correspondance et de leurs envois d’argent. L’espion « feignit d’accepter l’offre, fit signer à Henry la promesse de la réaliser » et envoya l’écrit au comité de Sûreté générale, en se vantant d’avoir, dès son début, « découvert un des