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principaux agens des rebelles ». L’aubergiste fut arrêté et expédié sous bonne garde à Paris. Lalligand ne cachait pas, du reste, que, dans cette affaire, il avait couru « plusieurs dangers ».

Il parvint enfin à joindre Chévetel : celui-ci avait passé quatre jours entiers à la Fosse-Ingant, au milieu des chefs de la conjuration : il avait assisté à leurs entretiens ; lui présent, un envoyé de la municipalité de Saint-Servan s’était présenté chez Desilles, annonçant que deux commissaires du pouvoir exécutif étaient arrivés de Paris. Cette nouvelle avait été reçue froidement ; tout projet d’insurrection étant définitivement renvoyé au mois de mars prochain, rien jusqu’à cette époque ne pouvait prêter au soupçon dans la conduite des conjurés. Il y avait eu, il est vrai, quelques mouvemens locaux : certains villages de la lisière du Maine avaient pris les armes ; mais la garde nationale de Laval s’était employée avec zèle à repousser les paysans et avait fait un nombre considérable de prisonniers. L’ordre formel du marquis était d’attendre une occasion plus favorable et il avait décidé d’envoyer aux Princes deux de ses amis les plus sûrs pour réclamer de nouveaux subsides. Fonte vieux et Chévetel étaient désignés pour cette mission de confiance.

Tel fut le récit de Chévetel : Lalligand était d’avis de frapper un grand coup et d’arrêter sur-le-champ les principaux conjurés ; mais l’autre lui représenta qu’un tel esclandre le « découvrirait » et aurait tout au moins pour résultat de rompre ses relations avec les agens de la Rouerie ; qu’il était préférable de temporiser, la mission qu’il allait remplir auprès des Princes lui donnant plus sûrement l’occasion « de servir la République » ; qu’au surplus il se faisait fort de décider le Comte d’Artois et Calonne à débarquer en Bretagne et qu’une fois ceux-ci tombés dans le piège, il serait facile de s’emparer d’eux. Lalligand, quoique à regret, se rendit à ces bonnes raisons ; il fit ses adieux à Chévetel qui, le 13 octobre, s’embarqua pour l’Angleterre sans difficultés, tous les pêcheurs de la côte s’offrant à passer à Jersey ceux qui voulaient émigrer.

Lalligand n’avait plus qu’à rentrer à Paris ; mais son retour eût ressemblé à un échec et il tenait à se rendre important. Que faire cependant à Saint-Servan ? Chévetel lui avait bien recommandé de se tenir coi, dans la crainte de le compromettre, et l’ancien faux monnayeur se désolait de ne pouvoir mettre à profit les confidences de son associé : celle qui l’avait plus particulièrement