Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à ceux qui en manquent, elle n’empêche pas l’encombrement des ouvriers dans Paris, ni les accidens, elle ne rend pas la santé aux épileptiques, ni la jeunesse aux vieillards. Il faut donc, pour ces diverses catégories de misères, diverses œuvres de bienfaisance, d’assistance. Les œuvres de charité qui distribuent des vêtemens, des alimens, des secours, ne manquent pas. Mais il reste encore beaucoup à faire pour secourir la misère la plus digne d’intérêt, celle qui est trop fière pour demander l’aumône, qui ne veut que du travail. Non seulement il y a des chômages accidentels dus à une foule de causes, mais il y a aussi des chômages normaux qui se reproduisent chaque année dans certains métiers.

Comment parer à ces chômages ? comment remédier aux détresses qui en résultent ? L’Etat ne peut pas évidemment être tenu de fournir du travail à tout ouvrier qui vient à en manquer. Ce serait admettre le droit au travail et faire revivre les ateliers nationaux de triste mémoire. Mais ce que l’Etat ne peut pas faire, l’initiative privée doit le faire et elle a commencé à le faire, en créant depuis quelques années des asiles[1] où l’ouvrier sans travail est recueilli pendant quelques jours, où on lui donne du travail, en attendant qu’il ait pu se placer au dehors. Le directeur de l’asile s’occupe lui-même de ce placement, et c’est là la partie la plus importante de sa tâche. Pourquoi les ouvriers, dont j’ai raconté les souffrances et le suicide par suite de chômage forcé, ne s’adressent-ils pas à ces asiles ? C’est, je crois, pour les deux motifs suivans : ces asiles sont trop peu nombreux ; en outre, ne disposant que de ressources très limitées, ils ne peuvent pas payer à l’ouvrier le prix normal de la journée, ils lui donnent la nourriture, le logement et, je crois, 0 fr. 45 par jour : un ouvrier célibataire peut être sauvé par cette assistance, un ouvrier marié, père de famille, ne peut pas l’être. En outre, la nature du travail qui est exécuté dans ces ateliers, pliage d’imprimés, défonçage de vieux corsets, etc., humilie un bon ouvrier. Ce qu’il faut à l’ouvrier soucieux de sa dignité, c’est un vrai travail de menuiserie, de serrurerie, d’ébénisterie, etc., et non un travail de prison. C’est ce qu’ont compris les fondateurs de la Maison de travail d’Auteuil, 54, avenue de Versailles, où l’ouvrier reçoit 2 francs pour sa journée

  1. M. le pasteur Robin a créé, en 1880, rue Fessart, 56, à Belleville, la première maison hospitalière. En 1892, M. Defert, maire du VIe arrondissement, a fondé l’Union d’assistance par le travail au marché Saint-Germain. — Il existe des ateliers semblables dans quelques autres arrondissemens, dans le XVIe, dans le IIe, etc.