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verrons que c’est ici l’intermédiaire, le directeur salarié par le propriétaire, qui joue le rôle antipathique, le capitaliste demeurant l’un des personnages sympathiques de la pièce. Il est vrai que c’est à la condition de renoncer bientôt à cette situation sociale privilégiée.

Joseph Streng, son fils Rodolphe, et quelques ouvriers de leurs amis délibèrent donc sur ces conjonctures. Ils se demandent avec anxiété s’il est bien raisonnable d’espérer que le jeune Harold Freeman puisse ignorer encore les menaces de son directeur, et soit disposé à les désavouer. On le sait en ce moment en conférence avec un ami écossais, nommé Wilson, qui l’a précédé de trois semaines à Dornenau pour lui préparer la voie et le renseigner à son arrivée en Allemagne. Wilson incarne l’homme d’affaires britannique, calme, calculateur et impartial. — On ignore les intentions de ces deux hommes. Cependant, on décide à l’unanimité de présenter le lendemain matin au nouveau patron une pétition réclamant la journée de huit heures, restriction du travail des enfans, augmentation du salaire des femmes, mesures sanitaires et appareils de sécurité dans l’usine : enfin, et c’est là le point qui semble aux ouvriers le moins facile à régler, le renvoi du directeur Schinder.

On apporte à ce moment une lettre pour le chimiste Streng. C’est l’Ecossais Wilson qui désire lui parler. Il se rend aussitôt à cet appel.

Une allusion malicieuse d’un des personnages de la scène précédente nous a déjà fait soupçonner qu’Harold Freeman avait, dès son arrivée, distingué la beauté de Flora Streng, la « Clochette de Mai ». Une conversation d’une voisine, venue pour admirer les broderies préparées par la jeune fille en vue de la fête du lendemain, nous éclaire davantage. Nous apprenons que le nouveau propriétaire de l’usine a exprimé sans détour son admiration pour les charmes de Flora. Toute la ville, qui adore la fille de Streng, parle déjà de cet événement. Flora, demeurée seule, achève de renseigner entièrement le spectateur par l’artifice d’un monologue. Harold Freeman l’a aperçue dans la journée, alors qu’elle traversait la place. Il s’est tourné vers son ami Wilson, et il a dit : See here the beauty of my dreams, « voici la beauté de mes rêves ». Comme Flora comprend l’anglais, elle n’a pu s’empêcher de rougir, et Freeman, s’apercevant de sa maladresse, est venu aussitôt s’excuser de son indiscrétion.