Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mesures de sécurité prises dans l’usine. Les frais nécessaires pour réaliser une amélioration dans ce sens avaient semblé trop élevés au directeur Schinder. Wilson laisse même entendre que ce dernier n’est pas à l’abri du soupçon d’avoir exposé à dessein la vie du jeune ingénieur, par jalousie et par vengeance : car Flora Streng a jadis repoussé l’offre de sa main. Freeman se sent bouleversé par le sentiment de la responsabilité qui incombe à sa famille et à lui-même, si de tels crimes sont possibles dans son usine. Il réparera, à tout prix, les injustices du passé.

Schinder est introduit à ce moment. Il exprime sa stupéfaction pour avoir été désavoué par le propriétaire de la fabrique sur la question du premier mai, et il fait valoir les argumens dont il se sert d’ordinaire avec succès. La majorité des ouvriers est, dit-il, terrorisée par quelques meneurs, auxquels il serait dangereux de paraître céder. Il charge en particulier le chimiste Joseph Streng, que le défunt Freeman n’a jamais voulu sacrifier, à cause de son habileté technique, mais que la vengeance du directeur espère atteindre cette fois dans l’esprit du nouveau maître. C’est lui le fauteur de troubles. Ses exigences insatiables ne sont satisfaites par aucune concession. Il a même perverti l’esprit des femmes, jusque-là disciplinées et contentes de leur sort dans la fabrique.

Malgré ses argumens spécieux, Schinder est congédié par son patron avec une indignation mal déguisée, et, aussitôt, Streng est introduit à son tour.

La conversation qui se déroule alors entre l’industriel et l’ouvrier est la scène capitale du drame, dont l’intrigue amoureuse n’est que l’accessoire. Nous nous étendrons un peu sur ces pages intéressantes. — Harold offre sans ambages le poste de directeur à Streng, et celui-ci de se récuser. « Je n’ai, dit-il, ni l’expérience administrative, ni les qualités nécessaires pour exercer ces fonctions. »

— On dit pourtant, reprend Harold, que vous êtes le critique le plus acharné de la direction actuelle, et que vous possédez la confiance des ouvriers.

— Peut-être, répond Streng, mais précisément, comme directeur, je serais contraint de défendre vos intérêts, qui sont opposés à ceux des travailleurs, et par suite à mes convictions.

— Je ne puis comprendre votre attitude, dit Freeman, que si vous estimez qu’un directeur doit nécessairement agir contre les