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de nos jours. En 1878, un médecin éminent, qui a occupé l’une des situations le plus en vue du haut enseignement, E. Chauffard, a tenté de restaurer l’animisme de Stahl. Plus récemment enfin nous avons vu les découvertes dues à des savans étrangers en possession d’une légitime réputation, Heidenhain (de Breslau) et Ch. Bohr (de Copenhague), servir à ressusciter sous le nom de « néo-vitalisme » une doctrine bien proche de celle que défendaient au siècle dernier Bordeu et Barthez. Ce néo-vitalisme contemporain emprunte à son devancier son principe fondamental, à savoir la spécificité non seulement formelle mais essentielle du fait vital et son irréductibilité absolue au fait physique. A la vérité le vitalisme ancien se complétait par une autre notion que le progrès des idées ne permettrait pas de relever aujourd’hui. Il considérait les phénomènes physiologiques comme les « effets immédiats » d’une cause spéciale, d’un agent en quelque sorte personnifié, le principe vital, extérieur au corps vivant, indépendant de sa substance, lié à elle temporairement, travaillant pour ainsi dire avec des mains humaines, accomplissant des faits et gestes qui forment l’histoire même de la vie, et quittant à la fin le corps qui lui servait d’hôtellerie, non peut-être sous la forme d’un papillon, comme le voulait le gracieux génie des Grecs, mais d’une manière tout aussi réelle quoique moins sensible. Les vitalistes du moyen âge, les Paracelse, les Van Helmont, avaient démembré ce principe animateur en principes subalternes, et multiplié sous le nom d’archées ces personnifications. On en retrouve quelque trace dans les propriétés vitales de Bichat et des auteurs plus modernes, fantômes que Cl. Bernard aimait à comparer aux nymphes, aux dryades et aux sylvains de la mythologie.

En face des médecins et des philosophes qui expliquaient la vie par la libre activité d’un principe vital, distinct ou non de l’âme pensante, se dressait le système adverse, le mécanicisme. L’esprit scientifique a éprouvé à toute époque une vive prédilection pour cette doctrine et, de nos jours, il a fini par l’adopter et s’y confondre. L’ordre vivant et l’ordre physique sont ici ramenés à un ordre unique, parce que tous les phénomènes de l’univers sensible sont eux-mêmes réduits à un mécanisme identique et représentés au moyen de l’atome et du mouvement. Cette conception du monde que les philosophes de l’école d’Ionie avaient imaginée dès la plus haute antiquité, que Descartes et Leibniz modifièrent plus tard, a passé dans la science moderne sous le