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inorganique ou inorganisé, une Chambre en vaut à peu près une autre ; et, en temps ordinaire, ce n’est pas son « esprit » qui importe beaucoup, ni sa composition, c’est le gouvernement qu’elle se donne, et c’est la manière dont ce gouvernement la dirige.

On dirait, à lire les affiches qui égayent en ce moment nos murs, qu’il existe en France presque autant de partis que de candidats. Mais nous ne sommes pas, et heureusement I si divisés. Les candidats ne s’évertuent à se distinguer les uns des autres que pour se donner à eux-mêmes une raison de s’offrir aux suffrages de leurs concitoyens. Ce sont des « individualistes », et il faut bien qu’ils aient l’air d’avoir une « individualité ». Mais, en réalité, il n’y a présentement que trois partis en France, pas davantage : — un parti « conservateur » dont l’action sociale s’accroîtra, quand il le voudra, de tout ce qu’il perdra d’influence politique proprement dite ; — un parti « révolutionnaire » qui va du radicalisme bourgeois jusqu’à l’anarchisme théorique ; — et, entre les deux, un parti qui n’en est pas un, que l’on ne sait trop de quel nom nommer, qui lui-même ignore généralement ce qu’il pense, qui attend qu’on le lui apprenne, et dont on peut faire, je dirais presque à volonté, l’instrument de la routine ou celui du progrès. Étant le nombre dans le pays, il sera, selon toute apparence, la majorité dans la prochaine Chambre. Et c’est pourquoi, de quelques élémens individuels que cette Chambre se compose, les ministères qu’elle se donnera la feront ce qu’elle sera. Mais c’est aussi pourquoi les élections vont se faire au milieu de cette indifférence relative, comme n’ayant pas, comme ne pouvant pas avoir de signification par elles-mêmes, et comme n’en devant recevoir une que de la manière dont se poseront devant la nouvelle Chambre trois ou quatre questions. Il n’y en a pas, en fait, beaucoup plus qui nous divisent ; et on peut différer d’avis sur « la composition d’une armée coloniale », par exemple, ou sur « les moyens de relever la marine marchande », sans avoir besoin pour cela de faire, comme on dit, bande à part, et déformer un parti dans son propre parti.

On ne lui demandera pas sans doute, à cette nouvelle Chambre, et elle ne se croira pas obligée de faire de démonstrations ou de déclarations « patriotiques ». Mais elle n’oubliera pas pourtant ses origines, je veux dire les circonstances dans lesquelles nous Talions nommer, et elle prendra garde en combien de manières et de combien de côtés, l’idée de patrie, depuis quelques années, est quotidiennement attaquée. Je ne parle pas d’une jeunesse imprudente et sceptique pour qui le cosmopolitisme est devenu comme une élégance ou un « sport ».