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ruelles la coupent en tous sens ; je m’y enfonce en décrivant mille zigzags. Ceux qui me poursuivent perdent ma trace : ils ne me voient plus et ne savent plus de quel côté je suis allé. Je presse de plus en plus le pas et j’arrive dans les quartiers centraux du côté de l’hôtel de ville. J’entre au poste de garde du bâtiment ; je suis essoufflé, haletant, épuisé ; mais… sauvé ! L’officier qui commandait la garde me fait donner à boire, et je rentre chez moi me remettre de mes émotions.

La mort a été peut-être en cent occasions plus près de m’atteindre ; je ne l’ai jamais sentie si proche !

De même que dans la population, il régnait dans les régimens une certaine fermentation. A l’exemple des généraux, quelques officiers avaient donné leur démission, pour ne pas servir le nouveau gouvernement.

Parmi eux était le colonel de Rougé ; il était fort aimé, et son départ attrista tous les officiers. Nous vînmes le supplier de rester ; mais il demeura inébranlable et, tous, nous pleurâmes en lui faisant nos adieux. Avec lui partirent plusieurs autres officiers, ainsi que notre aumônier. Au lendemain de la proclamation de Louis-Philippe, il refusa d’entonner à la messe le Salvum fac Regem. Le général Bachelu ne voulut pas admettre cette attitude, et il le fit immédiatement réformer.

Toutefois, s’il y avait de nombreux démissionnaires, il y avait plus encore d’officiers qui demandaient des emplois ; les bureaux du ministère de la Guerre étaient assaillis de pétitions.

Tous les officiers en demi-solde, ou ceux qui avaient été retraités ou mis en réforme pour des raisons d’ailleurs étrangères à la politique, réclamaient des places avec de l’avancement, faisant valoir qu’ils avaient souffert pour le triomphe de la cause actuellement, victorieuse. Presque tous les officiers de valeur, d’abord mis en demi-solde au lendemain des Cent-Jours, avaient été réintégrés dans leurs postes. On n’avait guère laissé dans leurs foyers que les incapables, les impotens, les goutteux, tous les faibles de corps, d’esprit et de moral ; aussi les choix faits pour remplacer les officiers qui partaient furent-ils tout à fait déplorables et contribuèrent-ils beaucoup à la désorganisation des corps de troupes. Ils firent naître des insurrections dans nombre de régimens et détruisirent pendant quelque temps toute discipline. Certains généraux rappelés à de nouveaux commandemens ne crurent pas, dans l’intérêt du gouvernement, devoir réprimer