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m’apparut comme un avant-goût de l’Orient, avec ses murailles et ses tours antiques brûlées par le mistral et le soleil, sa campagne aride où l’herbe et les arbres sont rares, tandis qu’au premier plan le Rhône serpente, gigantesque, au milieu de la verdure qui croît sur ses bords. Je me crus dans un pays lointain, dans une contrée des Mille et une Nuits.

Notre retour à Lyon fut une sorte de triomphe ; les gardes nationaux arrivaient en masse au-devant de nous, nous accablaient d’embrassades, et ce fut pêle-mêle, bras dessus bras dessous, que nous rentrâmes dans la grande ville.

Cette course sur le Rhône amenait le maréchal à faire une observation intéressante :

Rien n’effraie le soldat comme la guerre civile. J’ai assisté à plus de cinquante combats et à dix batailles rangées ; j’ai vu des troupes littéralement écharpées ; le lendemain les survivans étaient prêts à recommencer l’action, avec plus d’ardeur encore que la veille.

Dans la guerre civile, au contraire, tout est crainte pour le soldat. Il ne sait si la cause qu’il défend sera victorieuse, et peut-être devra-t-il, demain, obéissance aux insurgés d’aujourd’hui. D’une autre part, il considère la guerre civile comme une guerre de trahison. Les coups de fusil partent des soupiraux, on massacre les prisonniers innocens après leur avoir fait endurer les plus cruelles souffrances. Un manque de sang-froid, de raisonnement, amène tout de suite les troupes à deux états d’âme très différens : ou bien c’est l’exaltation, la colère, le désir de venger leurs camarades qui les animent ; ou bien, au contraire, elles se laissent aller à un sentiment d’inquiétude qui se manifeste par un manque d’énergie, une absence de confiance qui va quelquefois jusqu’à l’abandon des postes, la désobéissance et la panique.

A Avignon, nous étions animés du premier de ces sentimens. A Nîmes, c’était le contraire. Les troupes et les autorités y étaient restées inquiètes, sans énergie suffisante. Officiers et soldats ignoraient si le roi Charles X n’allait pas revenir ; beaucoup de chefs hésitaient sur leur devoir. Un seul fait donnera idée du désordre : le régiment suisse en garnison dans cette ville était sur le point d’être renvoyé, dans son pays ; eh bien, il avait arboré le drapeau tricolore, et les troupes françaises, au contraire, conservaient la cocarde et le drapeau blancs avec des fleurs de lis au shako. Et depuis un mois Louis-Philippe était roi !