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Ce qui me conduisit chez les Hospitalières fut justement le goût que m’avait inspiré un livre de l’abbé Casgrain[1], puis, ayant pénétré dans la place, j’y revins comme malgré moi.

Jamais je n’oublierai cette première visite au parloir. Je ne vis d’abord que la grille de clôture et, en face, attaché à la boiserie, le portrait de la bienfaitrice de l’endroit, une belle gravure ancienne autour de laquelle étaient gravés les mots : Très haute et très puissante dame, Marié de Vignerod, duchesse d’Aiguillon. Mais dès que deux religieuses étrangement semblables, dans leurs vêtemens blancs amples et majestueux, à mes chères amies du Louvre, immortalisées par Philippe de Champaigne, eurent paru derrière la double grille, tout s’évanouit pour moi, sauf ces deux intéressans visages : l’un vermeil, animé, rayonnant de bienveillance et de franchise, l’autre d’une blancheur d’albâtre transparent, éclairé par un regard et un sourire que je ne rencontrerai plus jamais en ce monde, une mère Agnès qui porte au Canada le nom de Saint-André. Nous causâmes simplement de tout, à travers les noirs barreaux, comme nous l’aurions fait dans un salon, et ma première impression s’affermit ; je sentis qu’une occasion unique se présentait pour moi de pénétrer au cœur même de la Nouvelle-France telle que la façonna, bien plus que ne le firent jamais gouverneurs ni intendans, ce triple pouvoir qui abordait le 1er août 1639 à l’île d’Orléans, en vue de Québec, entassé, on peut le dire, dans la pauvre petite barque de maître Jacques Vastel : « un collège de jésuites, un couvent d’Ursulines et une maison d’Hospitalières ». En tout, treize personnes, y compris un frère et une brave suivante qui s’était engagée à servir dix ans pourvu qu’à la fin lui fût donné l’habit de sœur converse.

On sait comment s’était produit l’exode extraordinaire de ces missionnaires des deux sexes. La duchesse d’Aiguillon, malgré ses boucles flottantes, les guipures de son corsage et sa toilette de cour, était une veuve chrétienne qui avait essayé de la vie des Carmélites. Forcée par sa frêle santé, plus encore que par la volonté d’un oncle auquel on ne résistait guère pourtant, que l’on fût ou non sa nièce, car il se nommait le cardinal de Richelieu, forcée par un double motif à rentrer dans le monde, elle s’en consolait en accomplissant des œuvres de piété

  1. Histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec, par l’abbé H. B. Casgrain, Montréal.