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en France : les Richelieu, les Condé, les Fouquet, les Lamoignon et bien d’autres. Leurs exemples de dévouement furent contagieux même dans les rangs de la société laïque. Lorsque le régiment de Carignan, venu en 1665 avec le vice-roi, marquis de Tracy, apporta une terrible épidémie de fièvres malignes contractées pendant l’expédition aux Indes occidentales, les dames de Québec partagèrent jour et nuit les dangers et les travaux des religieuses. Ajoutons que ces infirmières improvisées n’eurent pas affaire à des ingrats : ce qui survécut d’une troupe d’élite, renforcé par deux compagnies envoyées de France, resta au Canada et y fit souche.

J’ai subi pour ma part l’ascendant singulier qui se dégage du contact des Hospitalières de Québec, contact bien rare cependant, car elles sont si constamment occupées de leurs malades que l’une d’elles m’avouait n’avoir pas eu le temps depuis des mois de descendre un seul instant dans le jardin. Mais on a la fréquente vision de ce voile noir qui passe toujours, on le sait, en route vers une mission de pitié. Ces visages que ne frappe jamais l’air ni le soleil, si blancs sous le fin bandeau qui, cachant le front et encadrant les joues, leur prête une apparence de jeunesse éternelle, vous imposent le calme, un calme qui est d’ailleurs tout le contraire de mélancolique, car jamais je n’ai rencontré de personnes aussi satisfaites de leur sort. Et de temps à autre, quand deux d’entre elles auxquelles je reviens toujours, s’oubliaient un peu à causer, j’étais ravie de la grâce de leur esprit, de leur vive compréhension des choses qui devaient leur être le plus étrangères.

— C’est, me disait l’une d’elles dont je tais le nom parce qu’elle ne me pardonnerait pas de la faire parler et agir dans ce récit profane, c’est que nos malades nous apportent le monde en abrégé. La souffrance étant au fond de tout pour les plus riches et les plus heureux, nous en savons très long par l’intermédiaire des misérables.

Elles m’avaient logée dans une grande chambre blanchie à la chaux, commode et bien chauffée, dont les deux fenêtres très hautes, aux lourds volets de bois brun, au double châssis vitré, donnaient sur le Saint-Laurent. Je partais de là pour explorer les curiosités des environs ; pour aller voir à Lorette les derniers Hurons ou pour reconnaître en Sainte-Anne de Beaupré une succursale de Sainte-Anne d’Auray ; pour rendre aussi des visites en