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L’impression que laissent les Hospitalières serait incomplète si l’on n’avait visité Sillery. Sillery ! Quels tableaux ce nom évêque ! Derrière une ceinture de palissades un village indien. Deux ou trois barques déposent sur la plage les Hospitalières et les Ursulines arrivées de France la veille. Affluence émerveillée de Montagnais et d’Abénaquis autour des filles blanches, de celle surtout qui apparaît comme leur reine, Mme de la Peltrie. Tout à l’heure elle sera marraine de plusieurs néophytes, elle couvre de caresses les en fan s’ébahis. Salves d’arquebuses, chants de triomphe, prières, cantiques accompagnant la pose de la première pierre de l’hôpital où viendront s’installer quelques mois après la mère de Saint-Ignace et ses sœurs. L’Anse du Couvent est le point historique le plus vénérable de tout le Canada.

Aucun site ne pouvait être mieux choisi. Les assises d’un cap avancé semblent faites pour porter le fort aujourd’hui disparu, ainsi que l’hôpital dont un orme gigantesque, planté sur les murs de fondation, continua longtemps de marquer la place. Au-dessous, sur les rives basses du grand fleuve qui contourne le promontoire de Québec et sa couronne murale, les pirogues pouvaient aborder facilement et les pauvres missionnaires pochaient du poisson, l’hiver, à sept pieds de profondeur sous la glace ! Les bois environnans offraient des ressources pour la chasse, mais aussi des bêtes féroces entre toutes, les Iroquois, y rôdaient sans cesse. Ils s’avançaient jusqu’à un jet de pierres des palissades, emmenant, quand ils le pouvaient, les prêtres en captivité, scalpant, égorgeant, allumant des bûchers alentour. Le périlleux établissement de Sillery fut abandonné dès les premières années du siècle dernier ; on réussit très bien néanmoins à se représenter son aspect d’autrefois, quoiqu’il n’en reste que peu de traces, sauf la demeure des jésuites. J’ai trouvé celle-ci soigneusement entretenue ; les murs sont solides, les boiseries intérieures, les solives du plafond, la cheminée, une espèce d’alcôve où se dressait l’autel, rien n’a été changé. En face de cette humble maison, un obélisque élevé à la mémoire du père Massé, premier missionnaire au Canada, indique l’emplacement de l’église. De là partirent en conquête d’âmes tant de jésuites qui parfois revenaient mutilés, défigurés après des supplices affreux, comme le père Jogues par exemple, pour retourner toujours à leur tâche jusqu’à ce que mort s’ensuivît. Il faut se placer au point de vue strictement chrétien si l’on veut comprendre ces premières missions