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élégante écriture sur papier timbré aux armes de la Congrégation, qui m’autorisait à visiter l’établissement tout entier.

Comme celui dont Mlle Chuppin fut chez nous la fondatrice, il est d’origine laïque. Une pieuse veuve, Mme Roy, devenue plus tard en religion la révérende mère Marie du Sacré-Cœur, sans fortune, sans instruction, sans influence, commença, dans une pauvre maison à peine garnie des meubles indispensables, à recevoir quelques repenties, et la première qu’on admit l’était si peu que Mme Roy se crut en grand danger d’être assassinée par elle, ce qui n’empêcha pas l’amendement graduel de ce rebut de l’humanité. Vingt-six misérables furent de même arrachées au vice dans les deux premières années, cette personnification féminine du bon Pasteur de l’Evangile allant intrépidement les chercher au besoin jusque dans des repaires innomables. Il va sans dire qu’elle ne repoussait pas les plus dégradées quand elles se présentaient d’elles-mêmes, et tout cela sans ressources, sauf la charité publique qui fut d’abord récalcitrante, car l’œuvre était suspecte à cette population austère qui aujourd’hui encore ne s’intéresse qu’avec effort aux enfans trouvés. Des statistiques scrupuleusement contrôlées sont là pour établir que sur cent dix pénitentes que renferme le couvent où les entrées annuelles sont de soixante femmes environ, les quatre cinquièmes s’amendent. Si l’on joint à cela le bien accompli dans l’école voisine, école de réforme et d’industrie où plus de 150 petites filles reçoivent un enseignement pratique, une bonne instruction élémentaire et sont initiées à tous les travaux du ménage, puis placées, la protection des religieuses les suivant sans relâche à travers la vie, on jugera que l’œuvre de Mme Roy n’a pas été vaine. Le Bon-Pasteur de Québec compte aujourd’hui dix-neuf maisons, tant au Canada qu’aux États-Unis[1].

Je voudrais faire ressortir, par la comparaison avec ce que j’ai dit autrefois de la prison de Sherborn, près de Boston[2], la différence des deux méthodes protestante et catholique convergeant vers le même but. A ma grande satisfaction, il se trouva que les religieuses avaient eu connaissance de mon article sur Sherborn,

  1. Les communautés canadiennes de différens ordres fixés aux États-Unis se proposent une mission toute patriotique, celle de veiller à ce que leurs compatriotes émigrés ne soient pas absorbés par d’autres races. Elles contribuent aussi à empêcher que prédomine sans mesure le catholicisme américain proprement dit qui est surtout représenté, on le sait, par l’élément irlandais.
  2. Voir la Condition des femmes aux États-Unis, 1894.