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et qu’elles avaient même emprunté quelques moyens ingénieux au système de Mrs. Johnson, l’habile directrice.

— Seulement, me dit la supérieure, nous ne croyons pas que les réformes doivent commencer par le dehors et peu à peu gagner le dedans ; c’est au dedans que nous nous adressons d’abord et la confession nous est pour cela d’un grand secours. Quand, après les premiers mois d’épreuve et d’observation, nous suggérons à la pénitente ce moyen d’en finir avec son passé, il faut voir le changement soudain qui s’accomplit en elle, avec quel entrain nouveau elle recommence la vie comme sur une page blanche. Ah ! c’est une grande force que celle-là ! Il se peut que des rechutes surviennent. Nous leur disons bien qu’en ce cas nous ne les reprendrons plus, mais elles savent qu’il leur suffira de frapper pour qu’on leur ouvre encore. De fait, nous avons eu très peu de défections, si l’on considère qu’en quarante-sept ans d’existence plus d’un millier de ces pauvres filles est passé par nos mains.

Le couvent fondé rue de la Chevrotière à l’époque où le faubourg Saint-Louis, dont cette rue fait partie, passait pour mal fréquenté, se trouve maintenant à l’entrée d’un quartier neuf peuplé de belles résidences que domine le monumental Palais législatif. Je suis d’abord introduite dans le parloir, dont la porte est surmontée d’une inscription significative : « La séparation en ce monde ne dure qu’un instant, la réunion au ciel est éternelle. » Ensuite nous passons dans les salles de différentes dimensions où travaillent par groupes les pénitentes, celles-ci à la lingerie, celles-là aux fleurs artificielles, à l’imprimerie, etc. Quelques-unes tissent l’étoffe rayée purement canadienne qu’on appelle catalogue. Il y a beaucoup de tailleuses qui coupent et cousent des habits religieux. Le silence est absolu, sauf pendant les deux heures de récréation ; mais à chaque heure qui sonne une prière est faite à haute voix et une pénitente, tout en tirant l’aiguille, prononce ces paroles :


Encore une heure d’écoulée. — Encore un pas vers l’éternité. — Pour les pécheurs endurcis, c’est un pas de plus vers l’enfer, — pour les justes pénitens, c’est un pas de plus vers le ciel.


Puis un cantique, puis le silence et toujours le travail. Généralement chaque groupe d’ouvrières est sous la surveillance d’une ou deux consacrées. Les consacrées sont des pénitentes qui