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avaient une cohésion fort rare, comme nous l’avons dit, dans le personnel de la flotte des Etats-Unis.

L’organisation des défenses de la baie de Manille compensait-elle du moins l’infériorité de l’escadrille espagnole ? — Nullement, et si l’on peut accepter comme suffisantes les explications du ministre de la marine à l’égard des mines sous-marines, dont la mise en place est en effet difficile dans le large et profond détroit de Ternate, il n’en reste pas moins acquis que les batteries de terre étaient trop faibles, soit dans File du Corregidor, soit à Cavité, qu’il n’y avait point de projecteurs pour dénoncer, la nuit, les tentatives de l’adversaire, et encore moins de torpilleurs pour se jeter sur lui au passage.

Disons aussi, pour être vrai, que le service de surveillance ne semble pas avoir été organisé avec un soin suffisant, que si la nuit était assez noire pour que les Américains pussent franchir sans être aperçus du Corregidor une passe dont la largeur atteint 18 kilomètres, rien n’empêchait d’y détacher en observation une ou deux des canonnières de l’escadre, dont le canon ouïes fusées eussent au moins averti le gros de l’arrivée de l’ennemi, et, en dernière analyse, que les malheureux Espagnols paraissent, — nous disons paraissent, car il n’est pas aisé de savoir l’exacte vérité, — avoir été surpris au mouillage, comme Brueys à Aboukir, en 1798[1].

Sans doute, la disproportion des forces était telle, en réalité, que, au mouillage, ou en pleine baie, libres de leurs mouvemens, les vieux et débiles navires de l’amiral Montojo n’en auraient pas moins été détruits… et, du reste, le cœur manque pour faire un reproche, si faible soit-il, à qui sut si bien combattre, à qui sut si bien mourir !

Bien des points restent obscurs dans cette affaire. Comment le chef américain fut-il si bien prévenu de l’état des défenses espagnoles ? Comment surtout put-il se procurer les pilotes habiles qui lui permirent d’évoluer avec précision dans une baie difficile[2], sous le feu de l’adversaire ? Pourquoi y a-t-il eu deux combats, ou au moins deux phases dans le combat, les Américains

  1. Au moment de la mise en page nous apprenons par les sources américaines que, seule, la vieille frégate Castille était mouillée. Rappelons que ce bâtiment déclassé jouait le rôle de stationnaire.
  2. Il a dû les prendre à Bolinao, ou plutôt dans la baie de Langayen, où il relâcha en arrivant de Chine.