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idéal de beauté. Et cet idéal, c’est l’art de l’architecture qui, le premier d’entre les arts, le formulera, aussitôt que se seront constituées une langue personnelle et une littérature poétique, nées elles-mêmes d’une religion dogmatiquement définie.

Historiquement, si puissantes et si longues qu’aient été les grandes civilisations orientales, si belles de culture ou si riches d’art qu’on puisse supposer et cette Chine mystérieuse encore fermée à nos curiosités, et cette Assyrie à demi légendaire, et cette Égypte même, dont l’éternel été et le silence éternel ont fait une grande nécropole endormie sous le poids du soleil, il faut bien dire que la Grèce seule est réellement pénétrée par nos regards de modernes, qu’elle est seule compréhensible complètement à nos races. Là commence vraiment notre histoire intellectuelle, là aussi commence seulement notre art. Tout ce qui avait précédé n’était qu’ébauches imparfaites et sans cesse recommencées du poème merveilleux qui allait enchanter le monde et l’enfermer, peut-être à tout jamais, dans le charme définitif et les chaînes secrètes d’une tyrannique Beauté. Un jour l’art grec prendra à l’Assyrie, à l’Égypte, à la Phénicie, leurs dieux et leurs modèles d’architecture ; mais il les humanisera conformément à son génie clair et sain ; il les sortira à demi du symbolisme asiatique précurseur en cela, plus qu’on ne pense, du futur rationalisme occidental. L’importance des influences orientales sur les origines de l’art grec est aujourd’hui parfaitement démontrée, et de remarquables études, en France, en Allemagne, en Angleterre, ont éclairé la question d’un jour tout nouveau. Mais ces études mêmes ont bien laissé voir qu’à la Grèce reste tout entier l’honneur de l’épuration successive de ces influences mêlées, de la simplification tranquille et radieuse qui, en quelques siècles, constitua le plus pur effort vers la Beauté et le plus logique, à coup sûr.

Le génie grec, s’il ne l’a pas inventée de toutes pièces, comme le prouvent les plus récentes découvertes, a du moins réalisé — et défini en une sorte de canon — la forme parfaite de la construction en pierre, ou en marbre. Et, de fait, depuis cet aboutissement logique de tous les essais antérieurs jusqu’à nos jours même, qu’a-t-on trouvé, hors de l’emploi des trois ordres, des trois émanations de la divine unité artistique ? Seule, l’architecture « ogivale » semble, à première vue, échapper à la régulière filiation. Nous verrons qu’elle ne diffère, au fond, de