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lui-même à de si lointaines origines, déjà déformé par les Romains, puis de nouveau retourné aux sources d’Asie, revient, méconnaissable, de ce rapide et fatidique voyage aux pays fabuleux où l’homme commença de penser et de construire, et, s’arrêtant enfin dans l’Occident que purifient les barbares, fleurit merveilleusement en chrétienne architecture. Après les horreurs de l’an mil, les chrétiens, grands bâtisseurs d’églises, ne s’attardent pas longtemps à l’arc tranquille et sage, retrouvé en passant par l’Italie, au plein cintre roman, si noblement religieux qu’il nous paraisse aujourd’hui encore appliqué par les chrétiens à leurs églises du XIe au XIIe siècle. D’un bond, dans l’envolement de confiance et d’espoir qui soulevait de nouveau le monde, ils élèvent leur église à des hauteurs inconnues, comme à un idéal surnaturel ils ont élevé leurs âmes. Ils cherchent et ils trouvent les points d’appui nécessaires à cet exhaussement imprévu des murs et des voûtes, et — s’il faut laisser peut-être au mystérieux artiste arabe la gloire de la transformation initiale de l’arc en ogive — du moins peut-on dire que les architectes chrétiens achèvent de résoudre le problème, un des plus beaux et des plus ingénieux qu’ait rencontrés l’histoire de l’architecture, en déterminant, avec la précision d’une loi mathématique, et une perfection de technique qui ne sera pas dépassée, les méthodes de construction des voûtes d’arêtes, des croisées d’ogives et de l’arcade à tiers-point. Le grand art gothique était fondé.

Merveilleusement il s’épanouit dans tout l’ouest de l’Europe à partir de la deuxième moitié du XIIe siècle, couvrant d’abord le sol laborieux de la France naissante, de ces constructions immenses et légères à la fois, avec leurs hautes voûtes montées sur des murs démesurément élevés, prodigieuses châsses percées partout de fenêtres, de trèfles et de rosaces, et soutenues dans l’espace par les puissans arcs-boutans comme par autant de bras vigoureux. Toutes ces innovations « paraissent avoir été tentées tout d’abord, en effet, ou avoir pris leur développement le plus rapide et le plus complet dans l’Isle-de-France, la Normandie, la Picardie et la Champagne ». En Allemagne même, en Angleterre et en Italie, les exemples sont ou moins purs, ou postérieurs. A coup sûr, les plus beaux types sont dans cette province de l’Isle-de-France, qui semblait, alors comme aujourd’hui, faire une ceinture de bois, de fleurs et d’églises — double forêt d’ombre et de pierres — à l’ardente capitale. Dans