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moment de plus devant les revendications de la raison, renaissante dans le domaine des arts comme dans celui de la pensée philosophique et religieuse.

Mais aussi, par une naturelle conséquence, avec l’exaltation de la foi et du rêve, allaient disparaître l’audace des merveilleux et presque impossibles édifices, et le mystère des hautes voûtes ogivales, et l’art prodigieux — un peu fou — de monter des murs dans l’espace, en dentelle de pierre La suprématie, très logiquement, échappe peu à peu à l’art religieux ; la beauté architecturale se porte toute dans les monumens civils. C’est qu’on ne fait pas plus de monumens que de révolutions — et ceci le prouverait au besoin — sans enthousiasme. Qu’a donc produit, je le demande, en architecture, le mouvement religieux ou plutôt rationaliste, de la Réforme ? N’apportant que la sécheresse d’un raisonnement, la valeur d’une analyse, le protestantisme n’a rien produit en architecture de très beau, en tout cas rien de très significatif. Sans doute, il ne pouvait être à nouveau créateur de beauté, étant essentiellement d’esprit critique. Il prit et utilisa — peut-être en en refroidissant l’âme — les grandes cathédrales catholiques ; il en ouvrit les fenêtres toutes grandes, mais il en chassa, avec l’encens, le mystère et le charme. Et de cette première laïcisation, l’architecture des temples nouveaux, en Angleterre, en Allemagne ou en France, a gardé dès lors, et n’a plus jamais quitté ce probe aspect de méthode, de sagesse et d’ennui, qui ne saurait toucher jamais un artiste. Partout alors en Europe, l’art se ressaisit au brusque réveil du réalisme ressuscité de l’antique par l’Italie, l’incorrigible païenne. En même temps que les luttes religieuses de la Réforme frappent des mêmes coups la mystique Eglise et l’architecture mystérieuse, les pouvoirs laïques, mieux organisés, plus riches, réclament leur place indépendante et imposent un art indépendant aussi. Les voûtes, élevées à des hauteurs trop belles, s’abaissent — comme la foi ! — on retourne au plein cintre et aux ordres romains, et l’art gothique est traité de barbare par ces latins revenus en somme aux sentimens naturels d’un indestructible atavisme. Parfois encore une église, commencée sur un plan gothique, se finit et s’habille, en pleine Renaissance, d’une robe tout imitée de l’antique : l’ossature est restée ogivale, mais la flore païenne envahit tout l’être de pierre. L’église Saint-Eustache, à Paris, en est un des meilleurs exemples.